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Le Monde, le 13/10/2019
Par Marc Semo
Si les mises en garde de plusieurs capitales, dont Paris et Berlin, montrent l’isolement croissant de la Turquie, elles n’auront guère d’effets sur l’offensive menée dans le nord-est de la Syrie.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, lors d’une conférence de presse le 13 octobre à Istanbul. AP
Il s’agit de marquer le coup vis-à -vis des autorités turques alors que l’opération contre les Kurdes syriens s’intensifie. Paris a décidé « de suspendre tout projet d’exportation vers la Turquie de matériels de guerre susceptibles d’être employés dans le cadre de l’offensive en Turquie ». L’annonce a été faite samedi 12 octobre par les ministères français des armées et des affaires étrangères.
La Norvège – non membre de l’UE – avait été la première à annoncer un tel embargo, suivie par les Pays- Bas puis l’Allemagne. En recevant, dimanche soir à l’Elysée, la chancelière allemande, Angela Merkel, le président français, Emmanuel Macron, a rappelé que l’offensive turque risquait de créer « une situation humanitaire insoutenable » et d’« aider » le groupe Etat islamique « à réémerger dans la région ».
« Notre volonté commune est que cette offensive cesse. Notre conviction à l’un et l’autre est que cette offensive prend le risque d’une part, et nous le constatons d’ores et déjà sur le terrain, de créer des situations humanitaires insoutenables et, d’autre part d’aider Daech à réémerger dans la région », a déclaré le chef de l’Etat, qui réunira dimanche à 22 heures un conseil restreint de défense.
Mesures symboliques
Ces mesures de suspension des contrats d’armement sont avant tout symboliques. Dans les deux sens du terme. Elles sonnent comme une mise en garde montrant l’isolement croissant – y compris au sein de ses alliés – de la Turquie, pilier depuis 1952 du flanc sud-est de l’OTAN. Elles n’auront néanmoins guère d’effets sur l’offensive en cours. « L’opération était manifestement préparée de longue date et les forces armées turques comme le président Recep Tayyip Erdogan ont évidemment pris leurs précautions et disposent de tous les stocks nécessaires », relève Marc Pierini, ancien représentant de l’Union européenne à Ankara et chercheur à Carnegie Europe, soulignant que « Paris comme Berlin ne pouvaient néanmoins rester sans réagir ».
Selon le dernier rapport au Parlement du ministère des armées sur les exportations d’armement, la Turquie a commandé pour 45,1 millions d’euros de matériel militaire français en 2018. Elle est un client relativement marginal. En revanche, Ankara reste le principal acheteur d’armement allemand au sein de l’OTAN avec pour l’année 2018 quelque 242,8 millions d’euros, soit près d’un tiers de l’ensemble des exportations allemandes d’armes de guerre (770,8 millions d’euros). D’où la réaction du ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Çavusoglu, qui a tenté d’expliquer à la radio allemande Deutsche Welle que cette offensive dans le Nord syrien était une « question vitale » et « une question de sécurité nationale, une question de survie ».
Erdogan en position de force
Les pressions des Européens ne devraient guère aller au-delà , faut de moyens, faute d’idées, faute surtout d’unité. « Je crains qu’il sera impossible d’arriver à une décision commune des Etats-membres pour un embargo sur les armes à la Turquie, car, même si le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne suivent l’exemple de Paris et de Berlin, il y aura toujours des pays européens qui continueront à en vendre à Ankara », explique Marc Pierini. Recep Tayyip Erdogan a de très bonnes relations avec les leaders populistes de pays d’Europe centrale, à commencer par la Hongrie et la Pologne. Pour cette raison aussi, toute décision requérant l’unanimité, à commencer par d’éventuelles sanctions, est impossible.
Le président turc se sent donc en position de force et continue ses rodomontades. « Depuis que nous avons lancé notre opération, nous faisons face à des menaces de sanctions économiques ou d’embargos sur les armes. Ceux qui pensent pouvoir nous contraindre à reculer avec ces menaces se trompent », a martelé M. Erdogan le 13 octobre dans un discours à Istanbul, affirmant qu’il avait abordé le sujet des ventes d’armes lors d’un entretien téléphonique avec Angela Merkel. « Je lui ai dit de m’expliquer. Sommes-nous bien des alliés au sein de l’OTAN, ou alors le groupe terroriste a-t-il été accepté au sein de l’OTAN sans que je sois au courant ? », a lancé l’homme fort d’Ankara. Lors de cet entretien, Mme Merkel « s’est prononcée en faveur d’une cessation immédiate de l’opération militaire », selon le communiqué de la chancellerie.
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