Les leçons de Daron Acemoglu, Prix Nobel d’économie 2024

Le Point, le 19/10/2024

Par Philippine Robert

Quels sont les ingrédients de la prospérité ? La réponse du Prix Nobel, récompensé pour sa mise en évidence des liens entre institutions et réussite économique.

Le Prix Nobel d’économie vient couronner les travaux de Daron Acemoglu et de ses confrères, Simon Johnson et James A. Robinson sur les inégalités entre les nations. © Bruno Levy/Challenges-Réa

 
Les bookmakers pariaient sur lui depuis plusieurs années. Daron Acemoglu a raflé le prix Nobel d’économie 2024, aux côtés de ses confrères Simon Johnson et James A. Robinson. Professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), cet économiste turco-américain, d’origine arménienne, âgé de 57 ans, a été primé avec ses collègues « pour leurs études sur la façon dont les institutions sont formées et affectent la prospérité Â», a expliqué le jury du prix.

Si ce touche-à-tout s’est intéressé à beaucoup de sujets, du travail à la crise financière en passant par les nouvelles technologies, le lien entre les systèmes politique et économique est un fil conducteur de ses travaux. Il y a quelques mois, Daron Acemoglu nous avait accordé une longue interview dans laquelle il distillait des vérités économiques bonnes à assimiler.

« Pour comprendre le fonctionnement de l’économie, nous devons reconnaître que celle-ci est ancrée dans des institutions politiques, sociales et économiques. Ces liens sont essentiels dans les succès et les échecs des systèmes de marché. L’économie n’existe pas en vase clos. Â»

« La réussite des pays autoritaire n’est pas durable Â»

L’auteur du best-seller Prospérité, puissance et pauvreté : pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres (éd. Markus Haller, 2015), coécrit avec James A. Robinson, a notamment démontré que la démocratie conduisait à la prospérité économique, mais que l’inverse n’était pas forcément vrai.

« Parfois, les pays autoritaires savent mobiliser les ressources, investir dans les infrastructures et soutenir les entreprises. Mais l’histoire montre que ce n’est pas durable, nous expliquait-il. Sur cette base, James Robinson et moi-même avons affirmé que l’économie chinoise commencerait à connaître des problèmes structurels au fur et à mesure qu’elle s’enrichirait. C’est ce que nous observons actuellement. La croissance chinoise se poursuit, mais les inefficacités dans l’allocation des capitaux et les problèmes structurels s’aggravent. Â»

Autre exemple sans concession, avec son pays d’origine, la Turquie : « Le pays enregistre des performances économiques insuffisantes. Les causes profondes sont institutionnelles. La Turquie est devenue moins démocratique, moins bien réglementée, moins compétitive, plus corrompue. Il faut des changements fondamentaux, peu probables avec le gouvernement actuel. Â»

« En France, la démocratie n’a pas tenu ses promesses Â»

L’automne dernier, il avait analysé pour Le Point la crise politique que traversait la France entre les deux tours des législatives : « La démocratie est en crise parce qu’elle n’a pas tenu ses promesses […] Même dans le cas de politiques indispensables, comme la réforme des retraites, les dirigeants n’ont pas réussi à communiquer efficacement avec le public et à comprendre ses préoccupations. Les décideurs politiques n’ont pas non plus suffisamment reconnu les turbulences économiques et culturelles qu’entraîne l’immigration à grande échelle […] Les dirigeants politiques doivent renouveler leur engagement à construire une économie équitable et à donner la priorité aux travailleurs et aux citoyens. Â»

Celui qui nous avait confié ne pas utiliser ChatGPT, estimant que les réponses données étaient « peu fiables Â», alerte avec son coauteur Simon Johnson* sur les risques du progrès technologique, notamment pour la démocratie, appelant les dirigeants politiques à « bâtir une confiance dans un bon type de technocratie – non pas distante et imposée au peuple dans l’intérêt des entreprises mondiales, mais mêlant expertise et contribution démocratique afin de relever les défis du changement climatique, du chômage, de l’inégalité, de l’intelligence artificielle et de la mondialisation Â».

 
*« Pouvoir et progrès. Technologie et prospérité, notre combat millénaire Â», à paraître mi-novembre en France aux éditions Pearson.

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