Les jeunes diplômés fuient la Turquie d’Erdogan

Courrier International, le 08/01/2019

La Turquie est face à une vague de départs sans précédent de sa propre population, conséquence de la crise économique et surtout de l’atmosphère politique. La presse turque s’inquiète des conséquences de cette émigration galopante.

Un phénomène nouveau inquiète les économistes turcs : la fuite des cerveaux. Depuis quelques années, le nombre de départs du pays ne cesse de croître, avec 113 326 départs en 2017, une augmentation de 63 % par rapport à l’année précédente, souligne le quotidien d’opposition Cumhuriyet. Cette vague de départs concerne en grande partie les jeunes Turcs et surtout les plus instruits d’entre eux. “L’AKP [Parti de la justice et du développement, islamo-conservateur] veut pousser la génération de Gezi [nom donné aux manifestations anti-Erdogan de 2013] à quitter le pays”, déclare un député de l’opposition cité par le quotidien.

De nombreux Turcs voient donc partir leurs proches, comme en témoigne ce journaliste du média en ligne T24 : “Ces derniers temps, quatre de mes amis ont quitté le pays. Ce chiffre, infime au plan de la statistique, est pour moi un nombre très élevé, et j’ai souffert en effaçant leurs numéros de mon téléphone. Les raisons de leur départ étaient toutes similaires : ils ne se voyaient pas élever leurs enfants dans ce pays, ils ne se sentaient pas suffisamment reconnus professionnellement, et ils ne se sentaient plus à leur place ici. Moi aussi je me sens comme eux gagné par ce même sentiment de gêne indéfinissable et par cette même peur.”

L’empire de la peur s’est étendu sur le pays

Pour les critiques du président Erdogan et de son pouvoir, les raisons de ces départs sont à chercher dans le climat politique : “Par le passé il y avait déjà eu des vagues de départs, notamment des Kurdes, des Alévis [une minorité religieuse hétérodoxe inspirée du chiisme], des militants de gauche, souligne l’universitaire Ibrahim Sirkeci dans les colonnes du journal de gauche Birgün, Mais depuis trois ans les chiffres de départs et de demandes d’asile ont explosé et ils concernent désormais aussi les laïcs, les libéraux, les gülénistes [partisans de l’imam Gülen, ancien allié devenu ennemi juré du président Erdogan]. La raison de ces départs est l’empire de la peur qui s’est étendu sur le pays. Or, la Turquie n’est pas l’Arabie Saoudite, elle ne dispose pas de gisements de ressources naturelles, elle ne peut compter que sur sa capacité de création et de production qui vont en s’amenuisant avec ces départs.”

Parmi les Turcs qui font leurs valises, ont trouve des jeunes diplômés mais aussi la frange la plus aisée de la population. La Turquie est en 2017 le pays du monde qui a vu, en proportion, le plus de millionnaires quitter son territoire, rapporte le quotidien Cumhuriyet. Au cours de l’année, 12 % des millionnaires turcs, soit 6 000 personnes, ont ainsi quitté le territoire. En trois ans, ils sont 13 000 à avoir fait ce choix.

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