Le Pakistan expulse des disciples de Fethullah Gülen, l’ennemi d’Erdogan

En guise de cadeau de bienvenue au président turc Recep Tayyip Erdogan, arrivé mercredi 16 novembre à Islamabad pour une visite d’Etat de deux jours, le Pakistan a annoncé l’expulsion d’une centaine d’enseignants liés au prédicateur Fethullah Gülen. Exilé aux Etats-Unis, ce dernier est accusé par Ankara d’avoir fomenté le coup d’Etat raté de juillet, ce qu’il a toujours nié. Cet été, la Turquie avait demandé la fermeture au Pakistan de toutes les écoles de ce réseau qu’elle qualifie de « terroriste », et présent partout dans le monde. Mais dans un pays où, selon les estimations du gouvernement, 24 millions d’enfants ne sont pas scolarisés, Islamabad avait formulé quelques réticences.

Les médias pakistanais affirment qu’une fondation sous la tutelle du gouvernement d’Ankara devrait prendre le relais du financement des 28 écoles qui, selon les chiffres donnés par leur administration, abritent près de 11 000 élèves. Les enseignants et leurs familles ont reçu dimanche un courrier du ministère pakistanais de l’intérieur leur ordonnant de quitter le territoire d’ici au 20 novembre.

 » Décision abrupte « 

M. Erdogan a trouvé la nouvelle « réjouissante ».  » Il est nécessaire de démanteler ce réseau malfaisant. (…) Cette organisation terroriste présente une menace pour l’ordre public et la sécurité du Pakistan « , a-t-il ajouté, faisant allusion au mouvement  » Hizmet  » ( » service « , en turc) dirigé par Fethullah Gülen. La direction du réseau pakistanais d’établissements a déploré sur son site Internet une  » décision abrupte « . Plusieurs de ses élèves ont manifesté en bloquant des routes de Lahore, la grande ville du nord-est. L’ONG Amnesty International a déploré une expulsion motivée par  » des considérations politiques « , qui risque de nuire à l’intérêt des étudiants concernés.

A la grande satisfaction d’Islamabad, le président turc a également évoqué, jeudi, le conflit du Cachemire, qui cristallise les tensions entre l’Inde et le Pakistan depuis l’attaque, en octobre, d’une base militaire indienne dans cette région à majorité musulmane.  » L’augmentation des problèmes et de la tension sur la ligne de contrôle – entre l’Inde et le Pakistan – a un impact significatif sur nos frères et sœurs du Cachemire, et a atteint un degré tel que nous ne pouvons plus l’ignorer « , a déclaré M. Erdogan devant la presse.

La Turquie et le Pakistan entretiennent des relations étroites et anciennes. Mais le temps est révolu où, au Pakistan, la démocratie laïque turque était citée en exemple. C’est même l’inverse qui s’est produit depuis l’arrivée au pouvoir de M. Erdogan. La situation actuelle de la Turquie rappelle à certains observateurs les années de dictature du général Zia-ul-Haq entre 1977 et 1988, lorsque le Pakistan avait connu une politique d’islamisation volontariste. A cette même époque, les puissants services de renseignement de l’armée pakistanaise, alliés à la CIA, formèrent des groupes djihadistes et les approvisionnèrent en armes pour repousser l’occupant soviétique d’Afghanistan. Des talibans pakistanais retournèrent, des années plus tard, leurs armes contre le gouvernement d’Islamabad. Cette guerre est loin d’être terminée.

Le même scénario va-t-il se reproduire en Turquie, alors qu’Ankara soutient des groupes sunnites dans le conflit syrien ? Le site d’information turc Al-Monitor met en garde :  » Le soulèvement armé en Syrie, dont l’objectif est le changement de régime, a donné naissance à des organisations qui menacent l’entière population de la région.  » Selon le même site, le sénateur pakistanais Mushahid Hussein aurait adressé il y a quelques mois cette mise en garde à l’ancien premier ministre turc Ahmet Davutoglu :  » Vous répétez les mêmes erreurs que nous en Afghanistan. Les organisations que vous soutenez maintenant se retourneront contre vous.  »

Le partenariat entre les deux pays ne se résume pas à la lutte antiterroriste. Ils ont à cœur de contenir l’influence de l’Iran, la puissance chiite régionale. Islamabad et Ankara se sont aussi engagés à signer un traité de libre-échange d’ici à la fin 2017, avec pour objectif de parvenir à 1 milliard de dollars (935 millions d’euros) d’échanges commerciaux.

 » Même fardeau des réfugiés « 
Le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères pakistanais, Sartaj Aziz, a enfin souligné que la Turquie et le Pakistan faisaient face tous deux à un afflux de réfugiés en provenance de pays voisins :  » La Turquie porte l’immense fardeau des réfugiés syriens, tout comme le Pakistan, qui accueille 3 millions de réfugiés afghans.  » M. Aziz s’est dit certain que la Turquie, après le coup d’Etat avorté de juillet,  » émergera comme plus forte en termes de légitimité démocratique « . Eloignés géographiquement mais unis sous le même croissant de lune de l’islam : tel semble être le nouveau credo des relations entre les deux pays.

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