Le nouveau sultan d’Ankara

La Montagne, 28/03/2015

D̩rive autoritaire?? Рphoto afp

On ne traite pas impunément le président turc de « chef des voleurs ». Un jeune lycéen de 16 ans l’a appris à ses dépens et s’est retrouvé devant le tribunal. Poursuivi pour « insulte », Umut Kurt, militant du Parti républicain du peuple (CHP), risque jusqu’à quatre ans de prison. Il devrait être fixé sur son sort le 3 avril.

Depuis l’élection de Recep Tayyip Erdogan à la présidence en août dernier, les poursuites pour « insulte » au chef de l’État se sont multipliées. Le barreau d’Istanbul a recensé pas moins de 84 procédures en six mois. Elles visent aussi bien des artistes et des journalistes que de simples particuliers, voire une ancienne reine de beauté…

Merve Buyuksarac, 26 ans, a été couronnée Miss Turquie en 2006. Aujourd’hui, la justice lui reproche d’avoir publié sur son compte Instagram une version de l’hymne national contenant des insultes contre Erdogan. L’ancienne miss s’est retrouvée en prison car les procureurs ont jugé que la diffusion de ce poème n’entrait pas dans « le cadre de la liberté d’expression » et outrepassait « les limites de la critique » en « humiliant » le président Erdogan.

L’homme fort de la Turquie se montre de plus en plus intraitable face à ses adversaires politiques. Autrefois son allié, Fethullah Gülen, un dignitaire religieux exilé aux États-Unis, est devenu le pire ennemi d’Erdogan qui promet de pourchasser « jusque dans leurs tanières » ses partisans, des « terroristes » et des « traîtres ».

L’espoir de voir émerger un « modèle démocratique turc » semble avoir fait long feu. En décembre, le directeur d’une chaîne de télévision d’opposition a été inculpé pour « appartenance et direction d’une organisation armée » et écroué. Trente personnes (journalistes, policiers, scénaristes et réalisateurs de télévision) soupçonnées de faire partie du réseau de Gülen ont été arrêtées. On ne badine pas avec l’autorité : depuis janvier, des milliers de policiers et des centaines de juges ont été mutés.

L’opposition turque dénonce la dérive autoritaire du parti islamo-conservateur au pouvoir. La liberté de la presse est menacée. En 2012, la Turquie détenait déjà le triste record du nombre de journalistes emprisonnés avec 76 reporters sous les verrous. Soit plus que des pays aussi répressifs que l’Iran, l’Érythrée ou la Chine…

Erdogan avait déjà suscité l’ire de l’opposition en tentant de pénaliser l’adultère et en levant l’interdiction du voile dans les universités. Pour ce musulman pratiquant, l’égalité homme- femme est « contre nature ». Il critique vertement les féministes en les accusant d’être opposées à la maternité.

De nombreuses voix s’élèvent également pour dénoncer une folie des grandeurs qui ne semble plus avoir de limites. Le palais d’Erdogan, le plus grand du monde – quatre fois plus vaste que Versailles –, a coûté quelque 615 millions de dollars. D’une superficie de 200.000 m ², le « Palais Blanc » compte au moins 1.150 pièces et on y trouve même du papier de soie jusque dans les toilettes… L’Airbus présidentiel de 90 places est revenu, lui, à 185 millions de dollars.

Les adversaires d’Erdogan dénoncent des projets pharaoniques comme le canal doublant le Bosphore, la construction d’une gigantesque mosquée sur une colline de la rive asiatique, qui sera visible de toute la ville et où le président rêverait d’être enterré comme un sultan. « Avec cet argent, nous aurions pu envoyer trois satellites vers la planète Mars », ironise un député du CHP, qui souligne que le budget de la présidence turque atteint le triple de celui de la famille royale britannique. Shocking !

Dominique Garandet

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