La Turquie d’Erdogan de plus en plus agressive envers Israël

Le Figaro, le 31/07/2024

Par Marc Henry

Recep Tayyip Erdogan, le 20 juillet. Yiannis Kourtoglou / REUTERS

Les relations tumultueuses entre les deux pays ont atteint un paroxysme, au point que le président Recep Tayyip Erdogan a tenu des propos interprétés comme une menace à peine voilée d’invasion d’Israël.

Tel-Aviv

Les montagnes russes : le cliché vient immédiatement à l’esprit pour qualifier les relations tourmentées entre Israël et la Turquie, deux puissances régionales au Moyen-Orient, longtemps alliées, mais devenues, au moins verbalement, des ennemies déclarées. Parmi les réactions à l’élimination du dirigeant du Hamas, celle du président turc fut ainsi parmi les plus virulentes, Recep Tayyip Erdogan parlant d’une « odieuse attaque Â», d’un « assassinat perfide Â» de son « frère Ismaïl Haniyeh, tombé en martyr Â».

Le chef du Hamas, qui résidait fréquemment en Turquie avant l’attaque terroriste du 7 octobre, avait été reçu en avril à Istanbul par le président Erdogan. Nombre de responsables du Hamas sont accueillis par la Turquie, qui est une base arrière de ce mouvement. L’assassinat d’Haniyeh, disait encore Erdogan mardi, « vise à saboter la cause palestinienne, la glorieuse résistance de Gaza et la juste lutte de nos frères palestiniens et à démoraliser et intimider les Palestiniens Â».

Tout avait pourtant débuté sous les meilleurs auspices entre Israël et la Turquie. Ce pays a été le premier pays à majorité musulmane à reconnaître l’État hébreu, quasiment dès sa naissance en 1949. Une véritable lune de miel s’est ensuivie, y compris sur le front militaire et des renseignements. Mais depuis l’arrivée du pouvoir en 2003 de Recep Tayyip Erdogan, comme premier ministre puis comme président, le couple ne cesse de se déchirer, de se réconcilier, puis se redéchirer de plus belle.

Mais en pleine guerre dans la bande de Gaza provoquée par des massacres le 7 octobre dans le sud d’Israël par le Hamas, que le président turc considère comme un « mouvement de libération nationale Â», l’heure est à une escalade verbale sans précédent. Pour la première fois, le président turc a lancé ce qui a été interprété en Israël comme une menace d’invasion : « De la même façon que nous sommes entrés au Karabakh et en Libye, nous pouvons faire de même avec eux (les Israéliens, NDLR). Â» Il faisait ainsi référence à l’aide militaire turque à l’Azerbaïdjan dans la guerre qui a opposé ce pays à l’Arménie, ainsi qu’au gouvernement, reconnu par l’ONU, de la Libye, en proie à une guerre civile.

«Membre de l’axe du mal»

La réponse ne s’est pas fait attendre. Sans prendre le moindre gant diplomatique, Israel Katz, le ministre israélien des Affaires étrangères, a affirmé qu’Erdogan « suit les traces de Saddam Hussein en menaçant d’attaquer Israël. Il devrait se souvenir de comment tout cela s’est terminé Â» pour l’ancien dirigeant irakien, qui a été pendu. Le président turc a « fait de son pays un membre de l’axe du mal dirigé par l’Iran Â», a ajouté le chef de la diplomatie, en appelant de façon pressante l’Otan à expulser la Turquie de ses rangs.

Plusieurs médias israéliens ont, de leur côté, pris le discours du président turc au pied de la lettre en se livrant à une comparaison entre les forces armées et le matériel militaire des deux pays, pour répondre à la question de savoir qui pourrait l’emporter en cas de guerre.

Sur le front économique, les hostilités battent d’ores et déjà leur plein. La Turquie, au nom de la solidarité avec les Palestiniens de la bande de Gaza, a imposé récemment un embargo sur la plupart de ses exportations vers l’État hébreu, qui s’apprête à répliquer en interdisant toutes les importations d’origine turque. La compagnie Turkish Airlines, qui avait réussi une percée en transportant des dizaines de milliers de touristes israéliens vers la Turquie, a annoncé qu’elle suspendait tous ses vols jusqu’à l’année prochaine.

Lune de miel jusqu’en 2000

Ce climat d’extrême tension contraste singulièrement avec l’alliance nouée entre les deux pays jusqu’au début des années 2000. Pendant des décennies, les deux nations ont développé une coopération militaire et stratégique fructueuse, sous forme notamment de manœuvres aériennes communes. Israël a fourni des armes, transféré de la technologie et participé à la formation de pilotes turcs. Mieux encore, le Mossad et son équivalent turc, le MIT, ont conclu dans les années 1950 un accord qui permettait aux agents secrets israéliens de se servir de la Turquie comme base de départ et de retour pour des missions dans les pays arabes situés aux alentours. Les espions israéliens pouvaient aller et venir librement sans être contrôlés pour franchir la frontière turque.

En 2006, le ministère israélien des Affaires étrangères avait même été jusqu’à qualifier de « parfaites Â» les relations entre les deux pays. L’année suivante, le président Shimon Pérès a été invité à prononcer un discours devant le Parlement turc. Mais à la suite d’opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza, Recep Tayyip Erdogan a infligé une humiliation en 2009 à Shimon Pérès lors d’un Forum de Davos en quittant la salle de réunion après avoir lancé publiquement à l’adresse du président israélien : « Je trouve très triste que des gens vous applaudissent. Vous avez tué des gens (des Palestiniens) et je pense que c’est mauvais. Â» L’année suivante encore, la crise a pris une tout autre ampleur lorsqu’un commando de l’armée israélienne a tué 9 Turcs à bord d’une flottille qui projetait de forcer l’embargo maritime israélien autour de la bande de Gaza pour y acheminer une aide humanitaire.

Cette opération a empoisonné les rapports entre les deux pays pendant plusieurs années, jusqu’à ce que Benyamin Netanyahou, le premier ministre, exprime des regrets et consente à régler des indemnités de 20 millions de dollars. Une réconciliation s’est ensuivie. Le président israélien Isaac Herzog a été reçu en 2022 à Ankara, tandis que le chef de la diplomatie turque a effectué une première visite, depuis des années, à Jérusalem. Tout semblait aller pour le mieux. Cette embellie a une fois de plus été sans lendemain.

En septembre 2023, peu avant les massacres du Hamas, Benyamin Netanyahou a rencontré en marge de l’Assemblée générale de l’ONU le président turc, qui avait accepté une invitation à se rendre en Israël. Mais quelques semaines après, le 7 octobre a tout chamboulé.

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