Il a pris la photo de l’année

Le Figaro, le 07/11/2017

Par  Renaud Toffier

Burhan Özbilici, «World Press Photo» de l’année Le Figaro – Renaud Toffier

INTERVIEW – Récompensé par le World Press Photo pour un cliché aussi intense que dérangeant, le photographe turc Burhan Özbilici place en haute estime ce qu’il appelle le «bon journalisme» et pose un regard critique sur ce qu’il a observé de la presse au Moyen-Orient depuis 40 ans.

Ce 19 décembre 2016 devait être une journée de travail comme les autres pour le photographe Burhan Özbilici. Le vernissage d’une exposition à Ankara que l’ambassadeur russe Andreï Karlov commente de quelques mots devant une assistance réduite. À peine les premiers clichés effectués, un jeune turc de 22 ans en costume dégaine un revolver et abat l’ambassadeur russe. Instinctivement, Burhan Özbilici assiste à la scène, son Å“il droit rivé sur l’objectif, pour documenter cet assassinat. Le World Press Photo, qui célèbre chaque année le travail des photojournalistes, lui a décerné son grand prix.

Votre sentiment quand on vous dit que vous avez réalisé la photo de l’année?

L’essentiel pour moi est de bien faire mon métier. Le bon journalisme est très important, dans sa dimension humanitaire notamment. Il doit nous permettre de trouver la vérité et de la partager, même si elle est dérangeante.

Mevlüt Mert Altintas, un policier de 22 ans, hurle après avoir abattu Andreï Karlov, ambassadeur de Russie en Turquie, dans une galerie d’art d’Ankara. Burhan Ozbilici, The Associated Press

Cette photo est l’exemple même d’une photo dérangeante.

C’est un événement très grave, qui rappelle l’importance de la tragédie syrienne, la dureté de cette guerre, et la mort de centaines de milliers d’enfants. Je n’ai pas eu d’autre choix que de ne pas déranger. Si j’étais parti sans prendre de photos, vous m’auriez demandé pourquoi, et je n’aurais pas été fier de moi.

Vous évoquez l’importance du «bon journalisme». Il devient chaque jour plus difficile à mener en Turquie.

Je ne tiens pas à parler de la vie politique en Turquie. Bien sûr que c’est difficile, mais mon pays n’est pas une exception. Dans l’ensemble du Moyen-Orient, ce métier demande du courage. Et quand nous en avons les moyens, nous autres journalistes devons y faire honneur. Certains ont parfois gâché cette opportunité.

C’est-à-dire?

À la source de tout, il y a cette maladie qu’est la corruption. J’en vois certains accepter des bakchichs depuis 40 ans, alors jeter des reproches sur les seules dernières générations de dirigeants ne suffit pas. J’ai rencontré il y a plus de 20 ans Mohamed Hassanein Heikal*, l’un des plus grands journalistes égyptiens et ancien bras droit de Nasser (*décédé en 2016, ndlr). Lors d’un sommet de la Ligue arabe à Bagdad, il m’a raconté que Saddam Hussein avait offert à chaque journaliste connu des Mercedes dernier cri. En octobre 1996, en Libye, j’effectuais un voyage de presse scandaleux où il était proposé à chaque collègue une montre en or à l’effigie de Mouammar Khadafi. Ces gens sont des dictateurs, mais j’ai toujours dit à mes collègues de ne pas perdre notre liberté en cédant la corruption.

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