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RFI, le 13/10/2023
Par Anne Andlauer, de notre correspondante à Istanbul,
Alors qu’Israël poursuit ses bombardements sur la bande de Gaza, suite à l’attaque lancée le 7 octobre par le Hamas, plusieurs acteurs régionaux tentent de jouer les médiateurs. C’est le cas de la Turquie qui a entamé avec le Hamas des négociations au sujet des dizaines de civils retenus en otage dans l’enclave palestinienne. Le président Recep Tayyip Erdogan s’efforce de maintenir un certain équilibre entre les belligérants, en dépit de son attachement idéologique ancien à la cause palestinienne.
À Gaza, des partisans du Hamas tiennent des portraits du président turc Recep Tayyip Erdogan lors d’une manifestation contre la tentative de coup d’État militaire en Turquie, le 16 juillet 2016. AFP – MAHMUD HAMS
Depuis le début des affrontements entre Israël et le Hamas, le président turc réitère chaque jour son offre de médiation et multiplie les appels téléphoniques avec ses homologues régionaux. Recep Tayyip Erdogan s’est notamment entretenu avec le président israélien, Isaac Herzog, et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Il a également noué des contacts avec le Hamas, qui n’ont pas été annoncés par la présidence turque, mais confirmés de source officielle et largement commentés dans les médias du pays.
« Le président a établi des contacts avec le Hamas pour la libération des otages civils [détenus dans la bande de Gaza] », a rapporté Abdulkadir Selvi, un chroniqueur proche du palais présidentiel, le 11 octobre sur la chaîne CNN Türk. « Le président s’en occupe personnellement. Il n’y a pas eu de contacts physiques à Ankara [avec le Hamas], mais des échanges ont lieu. »
Ces échanges n’ont rien d’étonnant. Dans les années 2010, la Turquie a cultivé des liens étroits avec la branche politique du Hamas, à tel point que celle-ci dispose de bureaux et de représentants dans le pays. Cinq d’entre eux ont été reçus au parlement turc le 11 octobre par Zekeriya Yapıcıoğlu, dirigeant du parti islamiste Hüda Par, allié du Parti de la justice et du développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan. En juillet, le président turc accueillait encore à Ankara le chef du bureau politique du mouvement islamiste palestinien, Ismaïl Haniyeh, en même temps que son rival, Mahmoud Abbas.
Contrairement aux États-Unis ou à l’Union européenne, la Turquie ne considère pas le Hamas comme un groupe terroriste. « Le Hamas n’est pas une organisation terroriste et les Palestiniens ne sont pas des terroristes. C’est un mouvement de résistance qui défend la patrie palestinienne contre un pouvoir oppresseur », lançait Recep Tayyip Erdogan au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu en 2018. Une opinion que le dirigeant turc n’a pas contredite depuis.
Recalibrage de la politique étrangère
Si la défense des Palestiniens est une constante idéologique de Tayyip Erdogan– son engagement profond pour cette cause est bien antérieur à son arrivée au pouvoir en 2003 –, le rapprochement de la Turquie avec le Hamas pendant la décennie 2010 a coïncidé avec une époque où les relations turco-israéliennes étaient les plus tendues de leur histoire, après une longue période d’étroite collaboration, notamment militaire – la Turquie a été le premier État à majorité musulmane à reconnaître Israël, dès 1949.
À partir de 2020, dans le cadre d’un recalibrage plus large de sa politique étrangère, la Turquie a toutefois entrepris de se réconcilier avec l’État hébreu. Fin 2022, les deux pays ont complètement rétabli leurs relations diplomatiques avec le retour des ambassadeurs dans leur capitale respective. À l’évidence, une rupture des liens entre Ankara et le Hamas n’était pas une précondition d’Israël, mais ces liens se sont distendus à mesure que la Turquie se rapprochait de l’État hébreu.
Ces derniers mois, les choses semblaient s’accélérer : Recep Tayyip Erdogan et Benyamin Netanyahu se sont rencontrés pour la toute première fois en septembre à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, et le Premier ministre israélien était attendu en Turquie. Le ministre turc de l’Énergie était censé se rendre en Israël prochainement pour y discuter de projets de coopération gaziers auxquels Tayyip Erdogan tient beaucoup. Cette réconciliation récente avec l’État hébreu, en dépit du maintien de bonnes relations avec le Hamas, explique en partie le positionnement du président turc depuis les attaques sanglantes contre Israël le 7 octobre. Tayyip Erdoğan choisit, pour l’instant, de se poser non pas en fervent défenseur de la cause palestinienne face à un « État terroriste coupable d’un génocide » (ainsi qu’il décrivait Israël en 2018), mais en possible médiateur. Cette posture rappelle celle que la Turquie adopte depuis le début de la guerre en Ukraine.
Une opinion acquise à la cause palestinienne
Avec une difficulté supplémentaire, non négligeable : contrairement au conflit entre Ukraine et Russie où l’opinion publique turque s’accommode très bien d’une certaine forme de neutralité, Tayyip Erdogan doit ici composer avec une opinion publique quasi-unanimement acquise à la cause palestinienne. Les limites de ce numéro d’équilibriste n’ont pas tardé à apparaître avec le pilonnage de la bande de Gaza par l’armée israélienne. Chaque jour, le chef de l’État turc durcit un peu plus le ton. Le 11 octobre, il estimait que la réponse d’Israël était équivalente à un « massacre », citant le blocus de Gaza, privée d’eau et d’électricité. Le 12, il dénonçait de nouveau « des attaques injustifiables qui s’apparentent à un massacre de mes frères gazaouis », continuant cependant de proposer ses bons offices et espérant « gérer cette crise sans laisser nos émotions influencer notre politique ». Il n’est pas sûr qu’il y parvienne.
Les bombardements sur Gaza pourraient « finir par faire dérailler la tentative de rapprochement entre la Turquie et Israël », estime le chercheur Howard Eissenstat, selon lequel « plus le conflit dure, plus les Palestiniens subissent de victimes, plus il sera difficile pour Ankara de maintenir le statu quo ». Ou, comme l’écrit Abdulkadir Selvi, le chroniqueur proche du président Erdogan : « La patience arrive à bout. »
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