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Le Monde, le 04/04/2018
Par Allan Kaval et Marc Semo
Paris et Washington étoffent leur soutien aux Kurdes, mais la France et l’UE sont plus exposées que les Etats-Unis aux répliques du conflit syrien.
La lutte contre l’organisation Etat islamique (EI) était et reste pour les autorités françaises le principal enjeu de la guerre en Syrie et de leur engagement dans la coalition internationale dont les Etats-Unis sont le pilier. « Le problème est désormais pratiquement réglé sur le terrain », rappelle volontiers Paris. Tout en soulignant que les derniers combattants de l’EI font toujours peser une menace, et sont en passe de se recycler dans d’autres groupes djihadistes.
La victoire reste donc fragile et il est hors de question de baisser la garde alors que la France, après les Etats-Unis et le Royaume-Uni, a discrètement déployé depuis deux ans des forces spéciales dans le nord de la Syrie. Elles seraient déployées aussi à Manbij, où, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, les Américains mais aussi les Français ont renforcé leur dispositif. Le bras de fer qui s’amorce autour de la ville concentre ce qui est décrit à Paris comme des « contradictions stratégiques » avec Ankara.
Le dilemme, à Paris comme à Londres et à Washington, est le suivant : comment conserver ses alliés kurdes tout en ménageant la Turquie, deuxième puissance de l’OTAN ? Il faut, d’une part, poursuivre une coopération opérationnelle indispensable avec les combattants kurdes qui forment l’épine dorsale des Forces démocratiques syriennes (FDS), dont le rôle a été crucial pour écraser l’EI. Et, d’autre part, maintenir des relations décentes, à défaut d’être cordiales, avec la Turquie. Depuis le début de l’offensive d’Ankara contre l’enclave kurde d’Afrin et les velléités turques de la poursuivre contre les zones tenues par les FDS où la coalition est présente, les contradictions de la coalition sur le dossier syrien paraissent de plus en plus difficiles à assumer.
Acuité toute particulière
Pour les Etats européens, cette équation se pose avec une acuité toute particulière. Contrairement à Washington, ils se trouvent en effet en première ligne face aux répliques du conflit syrien sur leurs territoires. Et la Turquie peut aussi bien les contenir ou les amplifier en fonction de ses intérêts. A ce stade les autorités turques resteraient ainsi incontournables en bloquant puis en extradant les djihadistes étrangers refluant de Syrie par son territoire. A cela s’ajoute aussi le chantage récurrent du président turc Recep Tayyip Erdogan au sujet de l’accord migratoire avec l’Union européenne alors qu’il accueille 3 millions de Syriens sur son territoire. En Europe, contrairement aux Etats-Unis, la politique syrienne est aussi une question intérieure.
« LA POLITIQUE SYRIENNE DE LA TURQUIE SE RÉSUME DÉSORMAIS À LA QUESTION KURDE ET À CE QU’ELLE CONSIDÈRE ÊTRE SES IMPÉRATIFS SÉCURITAIRES IMMÉDIATS »,
UN HAUT DIPLOMATE FRANÇAIS
En recevant une délégation civile et militaire liée aux FDS, le 29 mars, à l’Elysée, le président Emmanuel Macron a affiché clairement sa solidarité avec ceux que nombre de militaires français, et notamment ceux qui ont opéré dans la coalition contre l’EI, considèrent être leurs meilleurs alliés. Les FDS détiennent par ailleurs la majorité des djihadistes occidentaux, majoritairement européens, arrêtés sur le terrain syrien. Elles tiennent ainsi l’accès à une masse de renseignements d’une valeur inestimable pour les capitales européennes.
La France est la première puissance de la coalition à apporter un soutien politique de ce niveau à ses partenaires sur le terrain syrien. Le communiqué final de cette rencontre insistait notamment sur « le soutien de la France pour la stabilisation de la zone de sécurité au nord-est de la Syrie. »
Consolidation militaire et politique
Or la zone de sécurité sous contrôle des FDS dont Paris entend soutenir la consolidation militaire et politique est perçue par Ankara comme une menace existentielle. La Turquie considère en effet que les FDS et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), qui mène la lutte armée contre Ankara depuis 1984, sont organiquement liés. « La politique syrienne de la Turquie se résume désormais à la question kurde et à ce qu’elle considère être ses impératifs sécuritaires immédiats », reconnaît un haut diplomate français.
Paris espérait calmer l’inévitable ire de la Turquie en rappelant « l’engagement de la France contre le PKK et son attachement à la sécurité de la Turquie » et en évoquant son souhait d’un dialogue entre Ankara et les FDS. Le président français proposait même Paris en possible médiateur. Sans succès, d’autant qu’à Ankara on dénonçait la décision d’envoyer des militaires français vers Manbij en soutien des forces américaines, rapportée dès jeudi par certains membres de la délégation reçue à l’Elysée. La présidence avait immédiatement nuancé. Contactée par Le Monde, l’Elysée n’a pas souhaité commenter les récentes informations sur le transfert de personnels militaires français vers Manbij.
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