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France 24, le 16/05/2018
Texte par Valentin GRAFF
© Mahmud Hams, AFP | En 2016, des Palestiniens avaient affiché leur soutien à Recep Tayyip Erdogan après la tentative de coup d’État en Turquie, dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016.
Après la mort de 59 Palestiniens sous les balles israéliennes, lundi, les pays arabes ont condamné l’État hébreu sans pour autant prendre de mesures de rétorsion. La Turquie, en revanche, continue de s’ériger en championne du peuple palestinien.
Lundi 14 mai, 59 Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne lors de manifestations près de la frontière entre la bande de Gaza et Israël, alors qu’avait lieu à Jérusalem l’inauguration de la nouvelle ambassade américaine. Les réactions ne se sont pas fait attendre. Pour l’Égypte, les Gazaouis sont des « martyrs ». L’Arabie saoudite a « [condamné] avec force les tirs » israéliens. Le roi Abdallah de Jordanie, quant à lui, a dénoncé « les agressions flagrantes et la violence perpétrée par Israël » et appelé la communauté internationale à « assumer ses responsabilités, à la fois morales et légales, de protéger le peuple palestinien », rapporte le Jordan Times.
Les mots sont là , mais les actes ne suivent pas. Pour faire pression sur Israël, les pays arabes « pourraient monter d’un cran en rappelant leurs ambassadeurs, par exemple, mais ils le font pas », analyse Élisabeth Marteu, chercheuse spécialiste du Moyen-Orient à l’Institut international d’études stratégiques (International Institute for Strategic Studies, IISS). « Cela confirme ce qu’on observe notamment depuis l’annonce du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem : ceux qui portent le flambeau de la lutte pour la Palestine sont la Turquie et l’Iran. Face à eux, les pays arabes sont en grande difficulté. »
La Turquie et l’Iran à la charge
De fait, en comparaison, la réaction de Recep Tayyip Erdogan est bien plus tangible. Lundi, le président turc a qualifié Israël d' »État terroriste » coupable de « génocide », décrété trois jours de deuil national, annoncé un rassemblement de protestation vendredi 18 mai et rappelé pour consultation ses ambassadeurs basés à Tel-Aviv et Washington. Mardi, Ankara a enfoncé le clou en demandant à l’ambassadeur israélien de quitter temporairement son territoire, symbole de son courroux.
À Téhéran, aussi, on se veut vindicatif. « Le régime israélien massacre de sang-froid d’innombrables Palestiniens qui manifestent dans la plus grande prison à ciel ouvert du monde », a affirmé le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, avant de proclamer que c’est « un jour de grande honte ». L’Iran, officiellement en guerre contre l’État hébreu, n’a pas d’ambassadeur à rappeler.
À l’inverse, les pays arabes, à l’exception du Koweït qui a appelé de ses vÅ“ux une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, dont il est membre temporaire, n’ont pris aucune initiative concrète. Ainsi, si la Ligue arabe compte se réunir le 16 mai, c’est « à la demande de l’État de Palestine » et pour discuter « des moyens de faire face à la décision illégale des États-Unis » d’installer leur représentation dans la ville trois fois sainte, selon Saïd Abou Ali, secrétaire général adjoint pour les Affaires palestiniennes de l’organisation. Nulle mention des tirs meurtriers de l’armée israélienne.
Ne pas se mettre les États-Unis à dos
Au cœur de l’embarras des États arabes, se niche l’implication américaine dans les récents événements. « Aucun pays arabe ne veut entrer en confrontation avec l’administration Trump, explique Élisabeth Marteu. La Jordanie et l’Égypte, directement concernées car limitrophes des territoires palestiniens – et plus encore la Jordanie car les Palestiniens sont majoritaires au sein de sa population –, étaient très embêtées en décembre [lors de l’annonce, par Donald Trump, de son intention de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem, NDLR], quand ils ont été contraints de soutenir les Palestiniens sans se mettre à dos les États-Unis. Cette fois encore, ils jouent les équilibristes en adoptant une rhétorique propalestinienne qui ne se traduit pas dans les faits », estime la chercheuse.
Au Caire et à Amman, hors de question de faire une croix sur l’aide américaine, qui représente 1,2 milliard de dollars pour l’Égypte et 1,3 milliard pour la Jordanie. « Que ce soit en formation, en matériel, la coopération militaire reste par ailleurs très importante », renchérit Élisabeth Marteu.
« Tout ceci a un impact dans l’opinion publique palestinienne, énonce la chercheuse de l’IISS. Cela fait des années que les Palestiniens se plaignent du manque de soutien des pays arabes. Ils ne croient plus à la solidarité interarabe et au fait que les capitales arabes vont venir à leur aide. » Erdogan, en comparaison, porte le fer en leur nom sur la scène internationale depuis désormais plusieurs années. En 2014, déjà , lors de la guerre dans la bande de Gaza, il avait dénoncé le « terrorisme d’État » perpétré par Israël. Les bombardements de l’opération « Bordure protectrice » avaient alors tué 1 135 civils en un mois et demi, selon l’ONU.
L’Arabie saoudite pointée du doigt
Paradoxalement, les critiques les plus dures visent les pays du Golfe, plus que la Jordanie ou l’Égypte. Riyad, en particulier, en prend pour son grade. Il faut dire que l’Arabie saoudite, qui se veut puissance régionale, est depuis bien longtemps soupçonnée de complaisance vis-à -vis d’Israël, peut-être du fait de leur ennemi commun : l’Iran.
« Les rumeurs sur un rapprochement israélo-saoudien sont anciennes, confirme Élisabeth Marteu. Et MBS [le prince saoudien régnant, Mohammed Ben Salmane, NDLR] s’est hasardé à des prises de position publiques, notamment lors de sa tournée aux États-Unis [à partir du 20 mars dernier, NDLR], qui ont été perçues comme un soutien à Israël. Il a notamment donné une interview au magazine The Atlantic qui rompt complètement avec la rhétorique saoudienne traditionnelle. » En disant « les Palestiniens et les Israéliens ont le droit de vivre sur leurs propres terres », MBS reconnaît à Israël le droit d’occuper son territoire. « Cela a été considéré comme une énième preuve de collusion entre Israël, l’Arabie saoudite et les États-Unis », conclut la chercheuse.
Reste que le Hamas, indissociable de la mobilisation populaire à Gaza, n’a rien d’un allié commode pour les pays arabes. Ce mouvement islamiste, qui contrôle cette fraction des territoires palestiniens depuis 2007, fait figure d’épouvantail régional. Les États-Unis l’ont inscrit sur leur liste des entités terroristes ; l’Union européenne, elle, n’y a rangé que sa branche armée. L’Égypte, en outre, contemple avec méfiance ce groupe un temps proche des Frères musulmans, dont le président Sissi s’est débarrassé en 2013. Autant de raisons qui expliquent ce soutien aux Gazaouis du bout des lèvres.
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