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Le Monde, le 19/01/2023
Par Nicolas Bourcier(Istanbul, correspondant)
En avançant d’un mois la date du scrutin, désormais fixé au 14 mai, le dirigeant turc veut contourner un article de la Constitution prévoyant qu’« une personne ne peut être élue président que deux fois maximum ».
C’est peu dire qu’elle était attendue. Après des semaines de spéculations et de tractations en tous sens, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a finalement annoncé, jeudi 19 janvier, qu’il souhaitait organiser les élections présidentielle et législatives le 14 mai, un mois plus tôt que prévu par le calendrier électoral. La décision, lourde de sens pour un scrutin considéré comme l’un des plus serrés de ces dernières décennies, a immédiatement soulevé de nombreuses questions d’ordre juridique et provoqué de vifs débats entre experts et représentants politiques, tous bords confondus.
Le chef de l’Etat, candidat à sa propre succession, a accédé au poste de premier ministre en 2003, avant de modifier la Constitution et de devenir président, directement élu au suffrage universel, en 2014. A 68 ans, M. Erdogan se présente ainsi pour la troisième fois à une présidentielle dans un contexte de crise économique profonde et d’extrême tension politique, où son autoritarisme et son conservatisme forcené sont contestés par de nombreux segments de la société civile turque. Pour la première fois en vingt ans, il n’est plus le favori incontesté des sondages.
Devant les membres du groupe parlementaire de sa formation, le Parti de la justice et du développement (AKP), et les caméras de télévision, M. Erdogan a d’abord tenu à placer le scrutin sous le signe d’une figure marquante et clivante de l’histoire politique du pays. Il a rappelé qu’un 14 mai, « il y a soixante-treize ans jour pour jour », avait eu lieu le triomphe du candidat Adnan Menderes, lors des premières élections du pays en 1950. Une victoire qui avait non seulement mis fin au règne sans partage du Parti républicain du peuple (CHP), la formation de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la République turque, mais qui avait aussi consacré un politicien populiste et profondément conservateur, marquant une génération de Turcs, dont le propre père de l’actuel président. Renversé par les militaires en 1960, Adnan Menderes sera pendu un an plus tard.
« Le 14 mai 1950, lorsqu’il a gagné les élections, Menderes a dit : “Assez, la parole est au peuple !” », a lancé le président Erdogan, en référence au slogan de campagne de l’époque. Une harangue reprise, par la suite, par de très nombreux partis. Il s’est ensuite livré à une attaque en règle de ses adversaires. « Notre nation adressera sa réponse à la “table des six” [le nom de la plate-forme de l’opposition qui regroupe six formations politiques emmenées par le CHP] le même jour qu’il y a soixante-treize ans », a-t-il assuré. Reconnaissant que « [le] plus gros problème [du pays] était l’inflation » et « qu’elle avait commencé à baisser », il a tenu à souligner qu’« aucune élection n’a jamais été facile » mais qu’il avait, à chaque fois, réussi « à en sortir vainqueur ».
Trouver des soutiens parmi l’opposition
Pour l’heure, il devra surtout faire preuve d’habileté politique, sa candidature se heurtant à plusieurs écueils. Légalement, M. Erdogan ne peut pas être candidat une troisième fois, puisque, conformément à l’article 101 de la Constitution, « une personne peut être élue président au maximum deux fois ». A cela, les partisans de l’AKP, tels le président de la Grande Assemblée nationale, Mustafa Sentop, rétorquent que la Constitution a été modifiée entre les deux mandats présidentiels. Le premier ayant été exercé durant le système précédent, dit « parlementaire », il ne peut s’additionner à celui que le président exerce actuellement sous le nouveau système dit « présidentiel », adopté en 2017. Le président sortant peut donc, selon eux, se présenter une fois de plus.
Toutefois, afin d’éviter une interminable bataille juridique à coups d’avocats et à l’issue incertaine, M. Erdogan a choisi d’anticiper de quelques semaines les élections et de passer par le Parlement. L’article 116 de la Constitution dispose en effet qu’« un président peut à nouveau être candidat si le Parlement décide de renouveler les élections lors du second mandat du président ». Pour cela, afin d’appeler à un scrutin anticipé, une majorité aux trois cinquièmes du Parlement est requise, c’est-à-dire 360 voix sur 600.
Or la coalition islamo-nationaliste au pouvoir, formée par l’AKP et le Parti d’action nationaliste (ultranationaliste), compte au total 335 sièges. Ce qui signifie que le président candidat devra trouver le soutien d’au moins 25 élus de l’opposition. Parmi elle, plusieurs dirigeants ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils refusent de s’engager dans une procédure susceptible d’entraîner « un long scénario de victimisation du candidat au pouvoir ». Le chef du CHP, Kemal Kiliçdaroglu a fait savoir que la date avancée lui allait. Son alliée Meral Aksener, égérie de la droite nationaliste, a quant à elle écrit sur Twitter : « Le mois de mai est à nous ! » La manœuvre du président turc n’est pas sans risque, mais le Parlement pourrait in fine valider son tour de passe-passe.
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