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Le Figaro avec AFP, le 22/10/2020
Depuis le suicide de l’auteur Ibrahim Colak, accusé de harcèlement, les dénonciations se multiplient à l’encontre de personnalités de la scène turque, à commencer par romancier Hasan Ali Toptas.
C’est une déferlante #Metoo dans un pays où la mentalité patriarcale reste tenace. Après les scandales aux États-Unis, les affaires en France touchant Roman Polanski ou Gabriel Matzneff, le monde littéraire en Turquie est à son tour secoué par des allégations d’agressions et de harcèlement à caractère sexuel, visant des écrivains connus. Cette campagne a pris une tournure dramatique et suscité un intérêt croissant des médias depuis le suicide, le 10 décembre, d’un écrivain après la divulgation de messages obscènes qu’il aurait envoyés à des femmes plus jeunes. Lancé par des messages anonymes sur les réseaux sociaux, le mouvement a rapidement pris de l’ampleur, ralliant des personnalités connues et enhardissant des femmes à rompre le silence pour dénoncer des écrivains se croyant protégés par leur célébrité.
Tout a commencé le 7 décembre par un tweet. Une internaute utilisant le pseudonyme Leyla Salinger a partagé une vidéo du romancier Hasan Ali Toptas, surnommé «le Kafka turc» dans les cercles littéraires, accompagnée du commentaire : «Combien d’entre nous attendons que cet homme soit dénoncé?» Une vingtaine de femmes ont ensuite accusé Toptas de harcèlement, provoquant une vague de témoignages visant d’autres écrivains.
L’un des auteurs mis en cause, Ibrahim Colak, s’est suicidé à Ankara le 10 décembre à l’âge de 51 ans après avoir publié sur Twitter un texte dans lequel il exprimait ses regrets et demandait pardon à sa famille. Selon les médias locaux, il aurait envoyé des messages obscènes à Leyla, l’internaute qui a lancé le mouvement. «Je ne m’étais pas préparé à une fin pareille. J’ai voulu être un homme bien, mais j’ai échoué», a écrit Colak, ajoutant qu’il ne pourrait plus «regarder sa femme, ses enfants et ses amis dans les yeux». Le compte Twitter de Leyla a depuis disparu.
«Pourquoi as-tu porté cette robe, alors?»
L’auteure Pelin Buzluk a raconté sa propre histoire de harcèlement par Hasan Ali Toptas au journal turc Hürriyet. «J’ai un souvenir terrible à son sujet», a-t-elle confié en rappelant comment elle avait dû s’enfermer à clé dans la salle de bains de l’appartement de Toptas quand il avait essayé de l’agresser sexuellement en 2011. «Pourquoi as-tu porté cette robe, alors?», lui aurait demandé l’écrivain lorsqu’elle a repoussé ses avances, insinuant qu’elle méritait ce qui lui arrivait. Au lieu d’éteindre le débat, Hasan Ali Toptas a aggravé son cas avec un communiqué dans lequel il a présenté ses excuses à tous ceux qu’il aurait heurtés par «ses comportements inconscients», qu’il a imputés à une mentalité «patriarcale», refusant d’en endosser la responsabilité. «Ce ne sont pas des excuses provenant de quelqu’un qui regrette ses actes», a commenté son accusatrice. Toptas a plus tard nié la version des faits présentée par Pelin Buzluk. «Rien de tel n’est arrivé», a-t-il dit au quotidien Milliyet.
Mais le journal a publié le même jour les témoignages de cinq autres femmes l’accusant de harcèlement sexuel. Face à ces allégations, la maison d’édition Everest a annoncé avoir mis fin à sa collaboration avec Hasan Ali Toptas et de nombreuses institutions ont retiré des prix qu’elles lui avaient décernés. Le hashtag #Tacizesusma («Ne reste pas silencieux face au harcèlement») a été parmi les plus populaires en Turquie au plus fort de la campagne. Une autre femme, Asli Tohumcu, affirmant «prendre courage de Pelin Buzluk», a publiquement accusé un homme de lettres, Bora Abdo, de l’avoir harcelée. À la suite de cette accusation, la maison d’édition Iletisim a rompu ses liens avec Bora Abdo, qui nie les allégations.
Dans ce contexte, un compte e-mail, uykularinkacsin@gmail.com, qui se traduit par «que tu perdes le sommeil», a été créé à l’initiative de militantes pour encourager les femmes victimes de harcèlement à partager leurs histoires. Des dénonciations similaires avaient visé le monde littéraire turc dans un passé récent mais étaient passées inaperçues à l’époque. Ainsi, un article consacré à ce sujet de l’écrivaine Nazli Karabiyikoglu, publié en 2018 sans susciter de vague, a été largement partagé ces dernières semaines sur les réseaux sociaux. Car entre-temps, le #Metoo turc est passé par là .
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