L’isolement d’Abdullah Öcalan a été rompu. Pour la première fois depuis neuf ans, la légende vivante de la cause kurde, fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme terroriste par la Turquie, l’Union européenne et les États-Unis, a reçu la visite d’une délégation d’officiels ce samedi à Imrali, au large d’Istanbul. De cette prison insulaire, dont le détenu Öcalan a longtemps été l’unique pensionnaire après sa capture en 1999, se dessinent les prémices d’une solution négociée avec la guérilla kurde.
Au terme de près de trois heures d’entretien, les deux émissaires kurdes envoyés sur l’île en sont revenus chargés d’un message : Öcalan, 75 ans, est prêt à appeler à la dissolution du PKK, qu’il a fondé en 1978, et à initier des pourparlers avec l’État turc. L’une des envoyés, Pervin Buldan, vice-présidente du parti Dem (pro-kurde), a parlé de « début d’un processus » de paix. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, lui aussi, a estimé qu’il s’agissait là d’une « fenêtre d’opportunité » après quarante ans de guerre ouverte contre le PKK.
Manœuvre politique
À défaut de pouvoir toujours exprimer leurs opinions, les internautes turcs utilisent l’humour pour commenter l’actualité. Cette fois, c’est un montage d’Abdullah Öcalan embrassant tendrement Devlet Bahçeli, le dirigeant du Parti d’action nationaliste (MHP), qui a servi à qualifier d’« historique » l’entrevue d’Imrali. Bahçeli, vétéran de l’extrême droite turque et allié du président Erdogan, a en effet initié la rencontre, attendue et maintes fois repoussée depuis octobre. Les commentateurs turcs y voient une manœuvre grossière pour obtenir des votes parmi les députés kurdes au Parlement, en vue d’une possible nouvelle concentration des pouvoirs de Recep Tayyip Erdogan.
Signe que le projet de Devlet Bahçeli, farouche ennemi des autonomistes kurdes, se met en branle, les émissaires d’Imrali doivent s’entretenir avec les chefs des principaux partis de Turquie. Une seconde rencontre avec « Apo », surnom d’Abdullah Öcalan chez les Kurdes, est prévue après la reprise de la législature, début janvier. Entre-temps, l’embryon de processus de paix pourrait se heurter à bien des difficultés. L’armée turque, qui combat depuis 1984 les militants du PKK et leur projet de création d’un Kurdistan unifié, a repoussé ces derniers hors des frontières turques. La portée qu’auront les mots d’Abdullah Öcalan dans les monts Qandil, en Irak, et en Syrie, où se situent les bases arrière du mouvement, n’est pas connue.
Dossier syrien
En autorisant l’entrevue du 28 décembre, la présidence turque espère ouvrir un second front. Au début du mois, Recep Tayyip Erdogan a engrangé une victoire de poids en politique extérieure avec la prise de pouvoir des islamistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTC) en Syrie. Damas semble, depuis, avancer de concert avec Ankara en ciblant la région autonome kurde, dans le Nord-Est syrien, et les Unités de protection du peuple (YPG), branche syrienne du PKK, qui y opèrent.
Dans une interview à la télé saoudienne, Ahmed al-Chareh, le chef d’orchestre de la transition en cours en Syrie, a promis ce dimanche qu’il empêcherait le PKK et les YPG d’utiliser la Syrie comme « base arrière » à l’avenir. Depuis sa prise de pouvoir, le dirigeant islamiste a répété son opposition à tout fédéralisme en Syrie, qu’il soit kurde ou d’une autre nature. Ahmed al-Chareh a certes exprimé son souhait d’intégrer les Kurdes au sein du ministère de la Défense… Mais les contours de la future armée régulière ne semblent pas inclure ces deux groupes, guidés par Abdullah Öcalan quand il portait encore la tunique militaire.