En Turquie, l’atome russe en terrain conquis
Le Monde, le 04/04/2018
Par Jean-Michel Bezat
Alors que les présidents Erdogan et Poutine lançaient mardi le chantier de la centrale d’Akkuyu, le nucléaire français, lui, est hors-jeu, observe le chroniqueur économique du « Monde », Jean-Michel Bezat.
Chronique.
« Dieu soit avec vous ! » A peine achevé le discours du président turc Recep Tayyip Erdogan, retransmis d’Ankara par visioconférence, les ouvriers ont coulé le premier béton de la centrale d’Akkuyu, dans la province de Mersin (sud). Ce mardi 3 avril, son homologue russe, Vladimir Poutine, était à ses côtés : les quatre premiers réacteurs nucléaires turcs (4 800 mégawatts) sont en effet construits par le conglomérat Rosatom, fer de lance du nucléaire russe en Europe orientale, en Asie et au Moyen-Orient.
« Nous ferons tout pour assister ensemble en 2023 à la cérémonie du lancement de la centrale », a déclaré M. Poutine, réélu le 18 mars pour un quatrième mandat. La cérémonie était d’abord un message adressé à l’Occident par les deux autocrates. D’autant que M. Poutine a aussi annoncé qu’il allait « accélérer » la livraison de son système de défense antiaérienne S-400 à la Turquie, pourtant membre de l’OTAN.
Le projet français ne verra sans doute jamais le jour
Le coût d’Akkuyu est estimé à 16 milliards d’euros. Lancé en 2010, ce projet doit couvrir 10 % des besoins en électricité du pays et réduire sa dépendance aux hydrocarbures importés. Il symbolise, avec le gazoduc sous la mer Noire Turkish Stream, la relance des relations industrielles et commerciales russo-turques, redevenues florissantes après la grave crise diplomatique de la fin de 2015. Pour M. Erdogan, un meilleur approvisionnement en énergie est vital pour atteindre son objectif de faire de la Turquie l’un des dix pays les plus riches du monde en 2023, année du centenaire de la République d’Atatürk.
L’Union européenne et la France semblent sorties du jeu, même si Emmanuel Macron a souhaité début 2018 une relance des échanges commerciaux avec la Turquie (10 milliards d’euros en 2016).
Si le projet turc de Rosatom entre dans une phase concrète, celui d’Engie et d’EDF-Framatome (ex-Areva NP) ne verra sans doute jamais le jour. Les deux groupes envisageaient de construire et d’exploiter à Sinop, au bord de la mer Noire, quatre réacteurs Atmea (4 400 MW), conçus avec le japonais Mitsubishi Heavy Industries.
Tensions diplomatiques
La centrale turque figure toujours sur le site Internet de Framatome au registre des « projets »…. Mais le nucléaire n’est plus inscrit dans la stratégie d’Engie, qui devait exploiter ces réacteurs, et les tensions diplomatiques entre Paris et Ankara (Europe, Kurdes, droits de l’Homme…) compromettent la réalisation de ces grands équipements.
La France achève la restructuration de son industrie nucléaire. En attendant une relance de la construction de réacteurs en France, EDF-Framatome mise sur l’exportation. Et d’abord sur la vente, fin 2018, de six EPR à l’Inde. Ce contrat de plus de 50 milliards est essentiel à la crédibilité technologique et économique de la filière française, tout comme à son avenir. Il faut reconnaître qu’après avoir surmonté le traumatisme de Tchernobyl, la Russie dispose d’une force politico-commerciale sans égal. Elle vient d’en administrer la preuve par la Turquie.
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