En Turquie, la grande ville de Bursa hésite à voter de nouveau pour l’AKP

Le Monde, le 29/03/2019

Marie Jégo (Istanbul, correspondante)

Ce sanctuaire industriel pourrait basculer dans l’opposition lors des municipales du 31 mars.

L’usine Renault de Bursa, en Turquie, en mai 2015. OZAN KOSE / AFP

Peu de meetings, pas de chansons, quelques rares stands pour les partis, des électeurs quasi indifférents : l’ambiance préélectorale n’a jamais été aussi morne à Bursa (2,9 millions d’habitants), l’ancienne capitale ottomane accrochée aux flancs du mont Uludag, à deux heures d’Istanbul par ferry.

Dimanche 31 mars, 56 millions de Turcs éliront leurs maires de villes et d’arrondissements, leurs conseillers municipaux et leurs chefs de quartiers (muhtar). Le scrutin pourrait réserver des surprises au Parti de la justice et du développement (AKP) dirigé par le président Recep Tayyip Erdogan. La récession économique – croissance en berne, inflation à deux chiffres (19,6 % en février), chômage en hausse – menace l’hégémonie des islamo-conservateurs, jusqu’à présent vainqueurs de toutes les élections depuis 2002.

Ce scrutin, le sixième en six ans, suscite une certaine lassitude. Â« Tout ira mieux lundi 1er avril. Après ça, plus d’élections d’ici à 2023, on va pouvoir respirer Â», soupire Murat, un restaurateur de la vieille ville.

« Innover, moderniser Â»

Les municipales s’annoncent pourtant serrées pour l’AKP. Mustafa Bozbey, le candidat du Parti républicain du peuple (CHP, opposition), crédité de 48 % des suffrages selon l’institut de sondages Metropoll, a toutes les chances de ravir le poste de maire à Alinur Aktas, son rival de l’AKP, donné perdant avec 41,2 %.

« Il est possible que l’AKP perde des voix, que la mairie lui échappe. L’électorat peut envoyer ce genre de signal vu la situation économique. Mais au fond, la population ne veut pas d’alternative à l’AKP, elle sait qu’il n’y en a pas. Elle veut simplement que le parti corrige ses erreurs. En sera-t-il capable ? Â», interroge Nezir Asaroglu, partisan de longue date des islamo-conservateurs.

A Bursa, comme partout ailleurs en Turquie, la valse des étiquettes, sur les produits alimentaires surtout, est l’objet de toutes les conversations. Cité vieille de huit mille ans aux portes de la mer de Marmara, la ville est aussi un sanctuaire de l’industrie textile et automobile, entourée de zones industrielles à perte de vue. Les PME, véritable poumon de l’économie turque, y ont pignon sur rue.

A Nilüfer, l’un de ces arrondissements périphériques dotés d’une immense zone industrielle, les entreprises sont à touche-touche dans un enchevêtrement de routes et de béton. L’entreprise AK-Press, un équipementier automobile fournisseur de Renault, Fiat, Toyota, Honda, y est installé depuis vingt-quatre ans. Â« Nous n’avons pas trop souffert de la crise, nous sommes tournés vers l’exportation Â», explique Yahya Erçetin, le PDG.

AK-Press, 14 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, doit son succès au fait qu’une large partie de ses bénéfices sont réinvestis dans la recherche et le développement. Yahya Erçetin n’a qu’une idée en tête : Â« Innover, robotiser, moderniser l’outil de production. Â» Des équipements neufs vont être achetés grâce à un prêt des banques. C’est là que la crise se fait sentir : Â« Les tensions monétaires nous coûtent cher car le loyer de l’argent augmente Â», rappelle le PDG.

Hüseyin Özdilek, le patron du groupe du même nom (textile et centres commerciaux, 5 000 employés), reconnaît que son entreprise a souffert des fluctuations de la monnaie. A l’été 2018, une brouille diplomatique avec les Etats-Unis a fait chuter la livre turque de 30 % par rapport au dollar, mettant en difficulté les entrepreneurs, précipitant la fuite des investisseurs.

« Economie et populisme ne font jamais bon ménage. Pour survivre et prospérer, il faut agir à tête reposée, voir à long terme, miser sur les innovations, la recherche, la formation Â», explique ce grand patron connu pour avoir fourni le palais de Buckingham et la Maison Blanche en serviettes de toilette.

Espaces verts et pistes cyclables

Autre mauvais point pour l’AKP, la personnalité atypique du candidat de l’opposition, Mustafa Bozbey, 57 ans, connu pour sa gestion efficace de l’arrondissement Nilüfer (441 000 habitants), dont il est le maire depuis vingt ans. Il en a fait une Â« ville pilote Â» nantie d’espaces verts, de bibliothèques, de pistes cyclables. Adepte de la Â« gestion participative Â», il s’est fait aider de comités de quartiers élus qu’il consulte avant de lancer ses projets.

« Malheureusement, l’aménagement urbain a été fait sans planification. C’est un gros souci, tout comme la circulation routière engorgée, les problèmes d’environnement et le chômage qui affecte 25 % de nos jeunes Â», déplore l’énergique candidat.

En tournée électorale en ville, Alinur Aktas, 49 ans, son rival de l’AKP, est confiant : Â« Tout n’est pas parfait mais on a bien travaillé. Â» Il peut compter sur le soutien des hommes d’affaires d’Inegöl, une autre zone industrielle de la périphérie dont il a été le maire. Et la crise ? Â« Après l’élection, tout ira mieux. Â» Pour une bonne raison : Â« Pendant quatre ans et demi, plus d’élections, donc on travaillera mieux. On sera comme sur une autoroute, on pourra faire de la vitesse. Â»

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