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Orient Le Jour, le 24/10/2020
Fulya OZERKAN et Burcin GERCEK/AFP
Ankara, qui soutient activement Bakou dans le Haut-Karabakh, alimente la propagande contre Erevan.
Ils ont beau avoir adopté un profil bas depuis le début des combats dans le Haut-Karabakh, des membres de la petite communauté arménienne de Turquie se sentent sous pression du fait du soutien inconditionnel d’Ankara à l’Azerbaïdjan face à l’Arménie dans ce conflit. Depuis le début des affrontements le 27 septembre, l’Arménie et les Arméniens en général sont en effet visés par un discours de haine par de nombreux politiciens et des médias turcs.
« Les Arméniens autour de moi sont dévastés d’entendre depuis une dizaine de jours “Les Arméniens sont ceci, les Arméniens sont cela”. En fait, nous étouffons. Lentement, jour par jour, heure par heure. Nous étouffons sous votre haine », a écrit Delal Dink le 8 octobre dernier dans Agos, l’hebdomadaire de la communauté arménienne de Turquie. Les mots de la fille de Hrant Dink, journaliste arménien assassiné en 2007 à Istanbul, traduisent le climat d’inquiétude et de pression au sein de la communauté arménienne du pays depuis le début des hostilités dans le Haut-Karabakh entre les séparatistes appuyés par l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a à plusieurs reprises qualifié l’Arménie d’« État voyou », tandis que les chaînes turques évoquent de supposés « crimes de guerre » commis par les Arméniens. Des convois de voitures brandissant des drapeaux d’Azerbaïdjan, klaxonnant à tout-va et lançant des slogans de haine, ont fait le tour des quartiers d’Istanbul connus pour être historiquement peuplés d’Arméniens.
« Je n’allume pas la télé »
Pour de nombreux membres de la communauté, descendante des survivants du génocide arménien de 1915 et comptant aujourd’hui environ 60 000 membres vivant essentiellement à Istanbul, ces comportements ravivent leur malaise. « Je n’allume jamais la télé chez moi, mais je vois le discours de haine et la diabolisation des Arméniens qui y est propagé lorsque j’entre dans un magasin où les gens regardent les infos », raconte Silva Ozyerli, une Arménienne originaire de Diyarbakir, dans le sud-est du pays, et vivant à Istanbul. « Les médias et la rhétorique de l’État font de nous des “ennemis”. Je me sens prise en otage », ajoute-t-elle.
La vague de démocratisation du début des années 2000 en Turquie avait pourtant quelque peu amélioré le quotidien de la communauté arménienne, qui avait été, dans le passé, victime de nombreuses attaques et discriminations. Pour Yetvart Danzikyan, le rédacteur en chef d’Agos, la situation est aujourd’hui « pire que dans les années 1990 ». « Les chaînes télévisées et les officiels répètent sans cesse à quel point l’Arménie est un pays “terroriste”. L’Arménie est ensuite remplacée par les Arméniens dans les discours.
Cela met naturellement les Arméniens de Turquie sous tension. On ne sait pas ce qui peut nous arriver dans la rue », s’alarme-t-il.
« Traître »
Lorsque des affrontements mineurs avaient eu lieu en juillet entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, suivis d’une accalmie qui a précédé les combats en cours, trois migrants d’Arménie avaient été attaqués et blessés par des inconnus à Istanbul, avait rapporté le journal Agos. « La montée d’un discours nationaliste est épuisante pour la communauté arménienne qui se sent asphyxiée et acculée », ajoute M. Danzikyan.
Dans ce climat tendu, des appels pour la paix au Nagorny-Karabakh deviennent inaudibles ou, pire, assimilés à une trahison. Garo Paylan, député arménien d’opposition du parti prokurde HDP, a été accusé d’être « un traître » par des groupes nationalistes pour avoir appelé la Turquie à « ne pas mettre de l’huile sur le feu » dans le conflit. « J’ai seulement dit qu’il n’y aurait pas de gagnants dans cette guerre. Être contre la guerre a suffi pour que je sois désigné comme cible », affirme-t-il.
Avant d’être assassiné en 2007 devant les locaux d’Agos, Hrant Dink s’était dit « craintif tel un pigeon » face aux menaces qu’il recevait. « Nous vivons aujourd’hui craintifs tels des pigeons », confie M. Paylan en écho aux mots de Hrant Dink. Pour le député, le climat de haine qui serait « attisé par le gouvernement » risque de provoquer des « crimes de haine ». « Nous avons perdu Hrant Dink dans une atmosphère similaire, prévient-il. Seuls un climat de paix et la fin des discours de haine peuvent assurer la sécurité de tous. »
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