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Le Journal du Dimanche, le 22/06/2021
Par Tiffany Fillon
La Turquie se retirera le 1er juillet de la Convention d’Istanbul, un traité international destiné à protéger les femmes des violences domestiques. Avec ce retrait, le président turc Recep Tayyip Erdogan se présente une fois encore comme un tacticien politique et comme le garant d’une société basée sur des valeurs familiales, religieuses et conservatrices.
Le 1er juillet prochain, la Turquie quittera officiellement la Convention d’Istanbul, un traité du Conseil de l’Europe visant à protéger les femmes des violences. Pour protester contre cette décision, prise lors de la signature d’un décret présidentiel, dans la nuit du 19 au 20 mars dernier, plusieurs milliers de femmes se sont réunies samedi dans les rues de plusieurs villes turques.
Auparavant, cette décision avait été vivement critiquée à l’échelle internationale, par l’ONU, la France, l’Union européenne ou encore les Etats-Unis. En Turquie, les violences envers les femmes ont été banalisées : 38% des femmes déjà mariées ont été victimes de violences physiques et/ou sexuelles au cours de leur vie, rappelle l’ONU, qui cite la dernière étude nationale sur la violence à l’égard des femmes de 2014. En comparaison, en Europe, ce taux se situe aux alentours de 25%. En outre, plus de 300 femmes sont mortes assassinées en 2020 dans le pays, d’après la plateforme « Nous allons arrêter les féminicides ».
Face à ce fléau, la Convention d’Istanbul oblige les Etats à adopter une législation réprimant la violence domestique, y compris le viol conjugal et la mutilation génitale féminine. Concrètement, cela passe par exemple par la mise en place de campagnes de sensibilisation, de créations de centres d’appels d’urgence ou de refuges pour les victimes. À ce jour, 34 États membres du Conseil de l’Europe ont ratifié la Convention d’Istanbul et 46 l’ont signée.
Les prochaines élections en ligne de mire
Il y a dix ans, la Turquie avait pris les devants en devenant le premier Etat signataire de ce traité international. Aujourd’hui, il est le premier de ces pays à quitter la Convention d’Istanbul. Un revirement qui s’explique par une évolution du contexte politique en Turquie. « En 2011, Recep Tayyip Erdogan était très soucieux d’élargir son électorat pour pouvoir faire passer la Turquie d’un régime parlementaire à un système présidentiel [une réforme constitutionnelle entrée en vigueur en 2017] », rappelle Nora Åženi, professeure à l’Institut français de géopolitique et ancienne directrice de l’Institut français d’études anatoliennes à Istanbul.
« Maintenant que Recep Tayyip Erdogan a toutes les cartes en main, il se concentre sur la branche la plus conservatrice et réactionnaire de son électorat pour affirmer son image », poursuit la fondatrice et gérante du site internet « Observatoire de la Turquie contemporaine ».
« Recep Tayyip Erdogan se prépare aux prochaines élections législatives et présidentielle alors que les sondages annoncent une chute de popularité de son parti, l’AKP », relève, pour sa part, Jean Marcou, enseignant-chercheur à Sciences-Po Grenoble. En mars, Fahrettin Altun, le chef de la communication de la présidence, avait, en effet, dénoncé une convention « détournée par une groupe de personnes qui tentent de normaliser l’homosexualité, ce qui est incompatible avec les valeurs sociales et familiales de la Turquie ».
La Turquie et sa « paranoïa » envers les valeurs occidentales
« Cet amalgame met au jour la dérive moralisante de la Turquie notamment sur les questions familiales. Il témoigne aussi d’une intervention de la politique de plus en plus grande dans le champ moral », analyse le géographe et chercheur spécialiste de la Turquie Jean-François Pérouse. Les déclarations du pouvoir révèlent également « la paranoïa de la Turquie vis-à -vis de l’Occident et de ses valeurs » malgré le récent et relatif apaisement des relations diplomatiques, poursuit Jean-François Pérouse.
Pour justifier son choix, Ankara a accusé la Convention d’être peu efficace pour lutter contre les violences faites aux femmes. « Mais ce traité n’est qu’un outil », nuance Jean Marcou. « C’est au gouvernement d’utiliser le texte de la Convention et de l’appliquer pour lutter contre les violences. Cette réponse de la Turquie est une façon d’affirmer sa préférence pour des règles nationales plutôt que pour des règles internationales », ajoute-il.
Malgré ce retrait du traité, les femmes turques peuvent compter sur un mouvement féministe très actif. « Celui-ci est ancien et efficace sur les questions de genre et de violences. Ce sujet, par ailleurs très commenté par la presse dans le pays, peut être même dangereux pour l’AKP car dans le passé, il a déjà reculé devant des mesures liées aux questions de genre », rappelle Jean Marcou.
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