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Le Monde, le 16/03/2020
Par Julia Pascual
Philippe Leclerc, représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en Grèce, dénonce la fébrilité européenne face à la question des populations qui fuient la Syrie.
« Dans la nuit du 27 au 28 février, j’ai appris que la Turquie n’allait plus empêcher l’arrivée des réfugiés et des migrants vers la Grèce. Il m’a semblé très clair que ça allait amener beaucoup de gens. Ça m’a renvoyé aux années 2015-2016. J’étais déjà à Athènes. A l’époque, cinq mille personnes débarquaient chaque jour sur les îles de la mer Egée. Mais, aujourd’hui, on n’est plus du tout dans le même état d’esprit.
Quarante-deux mille demandeurs d’asile vivent sur cinq îles dans des conditions terribles, et il y a une usure de la solidarité et de l’acceptation sur place, et une tension extrême entre les populations locales et la police. Ce n’est la faute ni des réfugiés ni des Grecs, mais des promesses non tenues.
A l’époque, les Etats ont fait faire à la Grèce des choses qui n’étaient pas autorisées dans leur propre législation, comme considérer que la Turquie était un pays tiers sûr où renvoyer les demandeurs d’asile. L’UE a arrêté les relocalisations de réfugiés en Europe et demandé à Athènes de créer des centres pour demandeurs d’asile. On voit les limites de cette politique sur les îles. Les réfugiés attendent jusqu’à deux ans avant que leur demande d’asile soit traitée.
Toute cette politique de contention crée de l’animosité entre les gens qui ont besoin de protection et ceux qui étaient prêts à leur apporter. L’Europe n’a rien appris ni compris. Ce qui se passe aujourd’hui est presque pire qu’en 2015 : beaucoup d’Etats membres ne sont pas prêts à considérer une forme de solidarité, que ce soit au sein de l’UE ou vis-à -vis des pays d’origine et de premier accueil. La situation est pourtant gérable.
« On a l’impression qu’un état d’urgence a été instauré pour les réfugiés. En Grèce, la procédure d’asile a été suspendue. »
Ce qui m’a marqué, et qui a suscité en moi une forme de désarroi, c’est, a contrario, l’union sacrée qui s’est manifestée, encore ces derniers jours, au sein de l’Union pour défendre la frontière. On a l’impression qu’un état d’urgence a été instauré pour les réfugiés. En Grèce, la procédure d’asile a été suspendue et les personnes arrivées depuis le 28 février sont placées en détention dans le but d’être renvoyées.
Je me suis rendu sur l’un des deux postes-frontières entre la Grèce et la Turquie, à Kastanies, le 6 mars. J’ai vu des policiers et des militaires qui se lançaient des gaz lacrymogènes de part et d’autre de la frontière et, au milieu, 400 migrants pris en tenaille. Je suis aussi allé au centre fermé de Filakio, où une minorité des personnes qui franchissent la frontière sont transférées. Il y a 120 mineurs non accompagnés qui attendent là depuis huit mois et j’ai aussi rencontré huit femmes afghanes avec leurs enfants qui avaient été séparées de leur mari.
Cette image de personnes brinquebalées entre deux frontières m’a touché. C’est un sentiment d’échec qui prévaut. Il y a eu moins d’arrivées qu’attendu. Deux mille trois cents personnes sont entrées par les îles ou la frontière terrestre. J’espère que cela agira comme un coup de semonce mais on a souvent l’impression d’être Sisyphe. »
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