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Courrier international, le 29/01/2023
Voilà vingt ans que Recep Tayyip Erdogan dirige la Turquie. Depuis quelques années, il mène une politique étrangère très ambitieuse, saluée, dans un billet enflammé, par le journal progouvernemental “Takvim”. Mais tous les médias turcs ne partagent pas cet avis.
OUI
Elle rayonne de l’Afrique au Caucase
– Takvim (extraits) Istanbul
Sur ces terres, depuis des centaines d’années, résonne chaque matin à l’aube l’appel à la prière et le chant du coq. Ailleurs dans le monde, et particulièrement en Occident, aux mêmes heures, c’est le braiment des ânes qu’on entend, celui des journaux que l’on distribue, des médias que l’on allume.
Parmi eux se trouve l’agence Reuters, qui, la semaine dernière, publiait une annonce pour le recrutement d’un nouveau chef de bureau en Turquie. Ils cherchent un nouveau valet, une plume locale acérée pour écrire sur la Turquie, pour s’en prendre à ce pays et à son président. Car Erdogan, à leurs yeux, est coupable. Son crime est clair : “Erdogan a lancé la Turquie dans une politique diplomatique et militaire agressive qui s’étend du sud du Caucase jusqu’à l’Afrique du Nord”, est-il précisé dans l’annonce.
Au même moment, le magazine américain Foreign Policy s’est joint au concert des braiments. “Attention, hurlent-ils à s’en déchirer les cordes vocales, si les six partis d’opposition tardent à déclarer leur candidat [face à Erdogan pour l’élection présidentielle du printemps], cela risque de bénéficier à l’AKP.”
Médiateur pour la circulation du blé ukrainien
Rongés par l’inquiétude, les voilà qui s’improvisent conseillers de l’opposition. Ils s’en prennent tous à Erdogan, qui poursuivrait selon eux une politique “expansionniste” à laquelle l’opposition pourrait, espèrent-ils, mettre un terme pour mener une politique plus “libérale et pluraliste”. Voilà ce qu’ils souhaitent, stopper l’expansion de la Turquie.
Car oui, nous faisons notre entrée en Afrique, en y chassant l’Occident. Mais sans la coloniser, sans commettre des massacres comme l’a fait l’Occident mais en tendant les bras aux populations locales. C’est d’ailleurs grâce à nous et à notre rôle dans les négociations pour garantir la circulation du blé russe et ukrainien en mer Noire qu’une famine sur le continent africain a été évitée.
En commençant par l’Azerbaïdjan, nous faisons le tour des républiques turcophones, nous les appelons à rejoindre le drapeau d’une alliance des États turciques. Nous nous apprêtons à devenir le principal hub énergétique de l’Europe, à y acheminer le gaz et le pétrole en provenance du Turkménistan et du Kazakhstan.
Nous sommes en Libye [où la Turquie soutient militairement depuis trois ans le gouvernement actuel de Tripoli contre ses rivaux du Parlement de Tobrouk et autres] et nous y avons signé un accord pour explorer et exploiter des réserves maritimes de gaz naturel d’une valeur incalculable.
Des Balkans au Caucase nous faisons la pluie et le beau temps. Nous renversons la table pour en bâtir une nouvelle et nous balayons l’Europe au passage. Nous paradons et nous lançons notre cocorico annonçant que le monde entre désormais dans le siècle de la Turquie.
Voilà en effet de quoi faire braire les ânes. Bien sûr qu’ils sont donc prêts à tout pour arrêter Erdogan, à soutenir toutes les oppositions possibles. Mais ce qui compte c’est ce que nous nous allons faire. Allons-nous donner une bonne leçon à ces ânes occidentaux qui écrivent eux-mêmes que “cette élection peut changer la scène internationale” ? Allons-nous les enfermer dans l’écurie ? La décision vous appartient.
– Bekir Hazar, publié le 4 janvier 2023
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NON
Elle court à la catastrophe
La fin de l’année 2022 et le début 2023 ont vu s’accélérer les rapprochements diplomatiques entre la Turquie et d’autres pays de la région. Une direction voulue par le président Erdogan mais qui sonne comme un aveu d’échec de la politique étrangère musclée qu’il a menée ces dix dernières années, estime la presse d’opposition. “Les zigzags de l’AKP en matière de politique étrangère s’effectuent désormais en marche arrière”, commente ainsi Birgün.
Le journal de gauche rappelle que le président turc s’est résolu en novembre dernier à serrer la main de son homologue égyptien, Al-Sissi, fossoyeur des Frères musulmans égyptiens, qu’Erdogan soutenait farouchement à l’époque du coup d’État du général. Le leader turc a aussi dû se résoudre à se réconcilier avec Israël et surtout avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, dont il espère un soutien financier.
Face à une opinion publique turque de plus en plus hostile à l’accueil des réfugiés syriens, il s’est même rangé à l’idée de négociations avec Bachar El-Assad, qu’il tente depuis plusieurs mois de rencontrer en personne. Si le dictateur de Damas refuse encore ce face-à-face, il a accepté que des rencontres aient lieu entre les ministres de la Défense et les chefs des renseignements des deux pays. L’isolement diplomatique d’Ankara de ces dix dernières années et les tentatives de réconciliation tous azimuts qui en découlent répondent toutes au même principe, estime Birgün : “La poursuite de gains politiques intérieurs plutôt que le développement d’une stratégie cohérente.”
Une crise économique qui ne cesse d’empirer
Même si Ankara enterre la hache de guerre avec ses rivaux dans la région, la Turquie reste extrêmement isolée, ses relations avec ses traditionnels alliés européens et américains étant au plus bas. Il ne reste à Erdogan que le soutien de Poutine, souligne le média en ligne d’opposition Kisa Dalga.
Les deux présidents se sont rencontrés en personne à quatre reprises en moins de six mois. Le soutien de Moscou est devenu indispensable pour Ankara, tant en matière économique que stratégique (dans le Caucase et en Syrie). “Erdogan et Poutine ont besoin l’un de l’autre, et ce dernier fera ce qu’il peut pour garantir l’élection du premier, notamment en proposant aux Turcs du gaz à prix réduit”, avance Kisa Dalga.
Car le bilan économique du président turc est encore pire que son bilan diplomatique, s’accorde à dire la presse d’opposition. Sa politique économique et monétaire a débouché sur une spirale hyperinflationniste (+64 % en 2022 selon les chiffres officiels, +137 % selon des économistes indépendants) et une aggravation du déficit de la balance commerciale, qui a atteint 110 milliards de dollars sur l’année, souligne Cumhuriyet, quotidien nationaliste et laïc.
Une situation économique qui risque de peser lourdement sur les élections du printemps, estime de son côté Evrensel. Selon le quotidien de gauche, la hausse de 50 % du salaire minimum annoncée par Erdogan en fin d’année ne suffira pas à contenter les ménages turcs, qui voient s’effondrer leur pouvoir d’achat. Le risque est alors de voir le pouvoir s’affranchir encore davantage des règles démocratiques :
“Cette fois, il ne leur suffira pas d’une opération militaire à l’étranger pour l’emporter en surfant sur la vague nationaliste ; la seule solution de l’AKP pour maintenir son régime d’homme unique sera de manipuler les élections.”
Courrier international
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