Contre-sanction : comment des Palestiniens aident Israël à contourner le boycott de la Turquie

Marianne, le 21/08/2024

Par Julien Lacorie , correspondant en Israël

Confrontés à un gel total des relations commerciales décrété en mai par la Turquie au nom de la solidarité avec le Hamas, les patrons israéliens ont recours à des Palestiniens de Cisjordanie pour contourner l’obstacle.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan (à droite) salue le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas qui arrive pour prononcer un discours à la Grande Assemblée nationale de Turquie à Ankara le 15 août 2024. AFP

Curieuse ironie de l’Histoire. Des chefs d’entreprises israéliens exploitent à fonds une lacune du boycott total décrété en mai sur les exportations turque par le président Recep Tayyip Erdogan, grâce à des intermédiaires palestiniens de Cisjordanie. Ce stratagème marche à fond, comme les statistiques stratosphériques le prouvent. Selon l’association des exportateurs turcs, les ventes de produits turcs officiellement destinés à la « Palestine Â» ont explosé en juillet de 1 180 %.

Ces transactions pour le moins originales ont atteint 119 millions de dollars le mois dernier contre 9,3 millions de dollars à la même époque l’an dernier. Pour rappel, les exportations turques vers Israël ont doublé en une décennie. La Turquie est devenue le cinquième pays fournisseur de l’État hébreu. Ses ventes ont atteint 5,4 milliards de dollars l’an dernier, soit 6 % des importations israéliennes.

En ces temps de boycott, le tour de passe-passe est tout simple. Officiellement, l’ensemble des commandes sont destinées à la « Palestine », mais au lieu d’être acheminées vers la Cisjordanie, les marchandises qui arrivent dans les ports israéliens de Haïfa et d’Ashdod, sont récupérées par des importateurs israéliens. Mais toute la manÅ“uvre de contournement est rendue possible grâce à des intermédiaires palestiniens, qui passent officiellement la commande, moyennant une commission variant de 5 à 8 % du montant total de la transaction. Bref, tout le monde profite de l’aubaine, l’importateur israélien, l’exportateur turc et l’homme lige palestinien.

Cette solution est à ce point profitable que Benyamin Netanyahou et Bezalel Smotrich, ministre des Finances et chef d’un parti d’extrême droite, qui voulaient répliquer au boycott du président Erdogan en interdisant toutes les importations turques vers Israël, mais aussi vers la Cisjordanie, ont finalement renoncé cette semaine à ce projet. Le patronat israélien, vent debout contre ces représailles, a mené une très active campagne de lobbying pour faire barrage à cette contre-sanction. « Une telle mesure aurait été une folie et aurait puni en fait les consommateurs israéliens. Déclencher une guerre commerciale en ce moment aurait été totalement contreproductif et n’aurait fait que renchérir le coût de la vie Â», explique Shachar Turjeman, le président de la chambre israélienne de commerce.

Pétrole d’Azerbaïdjan

Pris de court brièvement par les sanctions imposées par le président turc au nom de la solidarité avec les Palestiniens de la bande de Gaza, le boycott avait dans un premier temps heurté de plein fouet le secteur du bâtiment déjà très affecté par l’absence de plus de 85 000 travailleurs palestiniens interdits de séjour en Israël depuis les massacres du 7 octobre commis par le Hamas dans le sud d’Israël. Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que les importations de ciment destinées à la « Palestine Â» en juillet aient grimpé en un an de 46 300 %. Ces pourcentages faramineux culminent à  51 000 % pour l’acier, de 35 000 % pour les produits miniers, et 5 000 % pour les voitures, notamment des Toyota, produites dans des usines turques.

Reste à savoir si les autorités turques vont accepter longtemps de fermer les yeux sur ce genre de « deal Â» alors que les tensions montent entre les deux pays dont les dirigeants ne cessent de s’injurier. Au cas où la Turquie mettrait un terme au système actuel, Israël pourrait par exemple faire passer ses importations turques via la Grèce ou d’autres pays du pourtour méditerranéen. Mais les délais de livraison seraient beaucoup plus longs tandis que le coût du transport pourrait doubler.

Une autre inconnue, portant sur le pétrole, inquiète l’État hébreu au plus haut point. Israël importe environ 40 % de son brut d’Azerbaïdjan, un pays avec lequel il entretient des relations très étroites notamment dans le domaine de ventes d’armes. Or ce pétrole est acheminé pour un pipeline qui traverse la Géorgie pour aboutir au port turc de Ceyhan sur la Méditerranée. De là, le pétrole est acheminé avec des tankers vers les ports israéliens. Jusqu’à présent, le président turc n’a pas remis en cause ce dispositif. Si d’aventure le « reïs » avait envie de vraiment embêter l’État hébreu, nul doute que ce levier serait des plus efficaces…

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