Pour le général Christophe Gomart, député européen (LR), il est temps que Bruxelles cesse de se savonner la planche face à Ankara. Pour que le rapport de force s’équilibre, l’officier propose la suspension formelle et immédiate des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE), condition sine qua non à l’émergence d’un cadre respectueux. Explications.
Depuis dix ans, l’Union européenne (UE) finance son effacement géopolitique et démographique en donnant des milliards d’euros à la Turquie. En guise de remerciement, son président, Recep Tayyip Erdogan, qui se rêve en sultan néoottoman, ne cesse de proférer des discours assassins envers l’Europe. En conservant pour la Turquie le statut d’État candidat, l’UE rentre dans son jeu pervers. Il est temps de penser un nouveau cadre pour nos relations.
La suspension formelle et immédiate des négociations d’adhésion constitue un préalable indispensable à l’émergence d’un cadre respectueux, réaliste et équilibré, reflétant nos intérêts communs. Mais l’Europe, dans un vrai déni de la réalité, se félicite dans le premier paragraphe d’un futur rapport sur la Turquie, qui sera voté le 5 mars au Parlement européen par la commission des Affaires étrangères (AFET), des récentes déclarations du gouvernement turc réitérant son engagement en faveur de l’adhésion à l’Union en tant qu’objectif stratégique. Le moment est venu de sortir de cette hypocrisie !
En deux décennies, l’Europe a laissé la Turquie devenir un acteur néoimpérialiste, menant des actions d’influence et de déstabilisation via sa diaspora mais aussi de nombreux assassinats ciblés d’opposants arméniens ou kurdes à Paris ou à l’étranger. Cette attitude menace nos souverainetés nationales. Pourtant, l’UE a offert à la Turquie près de 18 milliards d’euros en 24 ans (soit 750 millions d’euros par an) par le versement d’aides provenant de l’Instrument d’aide de pré-adhésion (IAP).
Chantage
L’ironie est que ces sommes sont allouées pour que ce pays rejoigne l’Union européenne. Ces fonds servent en effet à l’ajustement et à l’alignement aux normes européennes. Tout en les empochant, Ankara n’a pas arrêté de poursuivre une politique agressive et antieuropéenne. Elle finance les mouvements et les fondations islamistes, comme l’université islamique de Gaziantep fondée en 2018 au sud du pays, et qui est un fervent soutien du Hamas. L’UE, par le biais d’Erasmus +, finance ainsi cette université à hauteur de 250 000 euros par an.
L’Europe aide également financièrement la Turquie en échange d’une rétention des migrants, externalisant ses frontières à un pays hostile, et s’est mise dans une position de dépendance vis-à -vis de Recep Tayyip Erdogan. En 2016, un accord controversé a été signé entre l’UE et la Turquie, faisant de celle-ci le gardien des flux migratoires vers l’Europe en échange de 9 milliards d’euros sur dix ans (2015-2025), venant se rajouter à l’IAP déjà versée. Cette situation est non seulement intenable pour la souveraineté des pays membres de l’UE mais aussi dangereuse pour les migrants dont le sort repose sur un chantage. N’oublions pas les aides des différents États membres de l’UE dont la France qui, via l’AFD, accorde une somme annuelle de 235 millions d’euros ! Pour quel retour ?
Sous l’impulsion de Recep Tayyip Erdogan, qui s’est maintenu au pouvoir depuis 22 ans en neutralisant ses opposants politiques, en particulier kurdes, la Turquie a adopté une posture néoimpérialiste. Son intervention militaire en Syrie, son soutien explicite au nouveau pouvoir islamiste dans ce pays, l’occupation du tiers nord de l’île de Chypre, son appui militaire à l’Azerbaïdjan contre l’Arménie ou encore son impérialisme en Afrique en témoignent. Ankara rêve d’une influence ottomane passée, dont l’Empire s’étendait du Danube à l’Éthiopie, et tente d’y revenir en s’imposant comme un acteur incontournable en Méditerranée orientale, au Moyen-Orient et en Afrique.
Double jeu
La Libye accueillera la quatrième édition du sommet Afrique-Turquie en 2026, alors que les échanges commerciaux bilatéraux entre les deux zones sont passés de 3 milliards de dollars en 2003 à près de 41 milliards de dollars en 2022. L’armée turque forme aussi des forces de sécurité en Afrique, comme c’est le cas en Somalie, et a fondé près de 180 écoles dans 30 pays africains. Il ne faut pas oublier la bataille démographique que la Turquie mène de front : sa population soit actuellement comparable à celle de l’Allemagne et sa croissance de 14,7 % entre 2009 et 2019, selon Eurostat, est un symbole de vitalité qui laisse envieux bien des pays européens.
L’Union européenne doit cesser impérativement de financer un État qui attaque délibérément ses intérêts. Et ce, notamment avec ses diasporas qui deviennent des forces politiques dans les pays européens. Lors des dernières élections, les Turcs d’Allemagne ont voté à 67 % en faveur de Recep Tayyip Erdogan et de son parti AKP, contre 50 % pour la moyenne nationale. Par ailleurs, ce dernier s’appuie sur le mouvement des Loups Gris, actif dans toute l’Europe, ayant perpétré des assassinats ou des actions violentes en Allemagne en Autriche en Belgique ou en France. Le gouvernement français a d’ailleurs décidé de sa dissolution en 2020.
La Turquie mène aussi un double jeu dangereux entre l’Otan, dont elle est membre, et la Russie, avec laquelle son commerce bilatéral est en hausse constante depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Plutôt que d’externaliser la gestion de notre immigration à la Turquie, qui traite les migrants comme un moyen de pression politique, plutôt que de donner l’argent à un pays qui nous prend pour cible, investissons ces fonds dans le renforcement de nos frontières, le durcissement des règles nationales et de leur application, sans oublier notre agence européenne Frontex qui en a bien besoin !