La Turquie se prépare à la vente des entreprises saisies après le putsch raté du 15 juillet, en raison des liens présumés de leurs actionnaires avec des organisations terroristes, en l’occurrence la communauté religieuse du prédicateur Fethullah Gülen. Mercredi 30 novembre, le Fonds d’assurance et de garantie des dépôts (TMSF), un organisme public qui contrôle les actifs des sociétés susceptibles d’être mises aux enchères, a choisi trois établissements, dont la Banque du développement industriel de Turquie, pour l’épauler dans la vente.
A la faveur de l’état d’urgence instauré jusqu’en janvier 2017, 37 000 personnes ont été arrêtées et 125 000 salariés ont été suspendus ou limogés pour leurs liens supposés avec le prédicateur Gülen, lequel dirige sa puissante société secrète depuis la Pennsylvanie, aux Etats-Unis, où il vit en exil volontaire depuis 1999.
En tout, 596 entreprises soupçonnées de « soutien au terrorisme » ont été placées sous le contrôle de TMSF. Si leurs actionnaires sont reconnus coupables, elles seront vendues et le produit de cette vente ira dans les coffres de l’Etat.
Le vice-premier ministre, Nurettin Canikli, a expliqué récemment qu’en l’absence de soutien avéré au terrorisme les entreprises seraient rendues à leurs propriétaires. Parmi elles, figure Koza Ipek, un fleuron industriel spécialisé dans les mines, l’énergie et les Âmédias, décrit comme proche du prédicateur Gülen.
Sur la sellette depuis septembre 2015, le groupe Koza Ipek a finalement été saisi et son fondateur, Akin Ipek, a dû fuir le pays pour échapper aux poursuites. Dans la foulée du putsch raté, TMSF prépare la vente des actifs les plus juteux du groupe, notamment Koza Altin Isletmeleri AS, spécialisé dans l’extraction de l’or, et Ipek Dogal Enerji Kaynaklari Arastirma ve Uretim AS, pour le charbon et l’énergie.
Renforcement du noyau d’hommes d’affaires loyaux au président
Bien qu’aucune date n’ait été donnée pour la vente, Galip Ozturk, 51 ans, un homme d’affaires proche des islamo-conservateurs au pouvoir et propriétaire de Metro Holding, s’est porté candidat dès la mi-octobre pour le rachat de Koza Ipek. Outre le renflouement du déficit courant, la vente des sociétés incriminées va renforcer le noyau des hommes d’affaires loyaux au président Recep Tayyip Erdogan.
La nouvelle a fait bondir Akin Ipek, lequel, depuis Londres, s’est étonné, sur son compte Twitter, qu’une petite société comme Metro Holding, évaluée à 95 millions de dollars (89 millions d’euros), ait l’aplomb de se porter candidate au rachat de Koza Ipek, riche de 600 millions de dollars en cash et d’avoirs miniers estimés à plusieurs milliards de dollars.
L’histoire de M. Ozturk se confond avec celle du pays. Il est le prototype de cette génération de « Turcs noirs » (en opposition à l’élite « en col blanc », laïque, kémaliste, aux manettes économiques et politiques du pays depuis 1923), arrivée à la force du poignet et qui sont d’une loyauté sans failles envers les islamo-conservateurs.
Issu d’une famille modeste de la région de la mer Noire, Galip Ozturk a commencé sa carrière comme serveur de thé dans une gargote d’Istanbul à l’âge de 13 ans. Parti de rien, l’entrepreneur s’est retrouvé à la tête d’une compagnie d’autobus qui transporte 20 millions de voyageurs par an.
Essoufflement de la croissance
Son allant est loin d’être partagé par la communauté des affaires, accablée par l’essoufflement de la croissance et la baisse de la livre turque, qui s’est dépréciée de 17 % par rapport au dollar et de 14 % par rapport à l’euro. Jusqu’ici, les plus grosses entreprises, détenues par l’élite en col blanc, ont été épargnées par les purges. Pour combien de temps ?
Jeudi 1er décembre, Barbaros Muratoglu, représentant à Ankara de Dogan Holding, l’un des plus grands groupes de Turquie, présent dans les médias et l’énergie, a été interpellé et placé en garde à vue après avoir été mis en cause par un journal progouvernemental pour ses liens avec M. Gülen.
Le même jour, les actions de Dogan Holding ont perdu 7 % à la Bourse d’Istanbul. « Certaines règles de l’état d’urgence adoptées dans un souci de sécurité conduisent à une perte de confiance en l’économie », a déploré, jeudi, Cansen Basaran-Symes, présidente de l’Association des industriels et des hommes d’affaires de Turquie.
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