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Le Monde, le 17/12/2021
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Une quarantaine de hauts responsables africains, dont treize chefs d’Etat et deux premiers ministres, sont attendus à Istanbul pour prendre part au 3e sommet Turquie-Afrique, vendredi et samedi.
Une quarantaine de hauts responsables africains, dont treize chefs d’Etat et deux premiers ministres, étaient attendus à Istanbul pour prendre part au 3e sommet Turquie-Afrique, vendredi 17 et samedi 18 décembre. Ils doivent y discuter du renforcement de la coopération sur les fronts économique, sécuritaire et culturel mise en place ces dernières années par Ankara.
La rencontre se déroule sous la houlette du président turc, Recep Tayyip Erdogan, plus que jamais soucieux d’accentuer la percée fulgurante de son pays sur le continent. A l’heure où les relations avec l’Union européenne sont distendues, où les révolutions arabes n’ont pas apporté les résultats escomptés, l’Afrique apparaît comme son terrain de prédilection.
Isolé sur la scène internationale, affaibli en interne par la chute vertigineuse de la devise turque, qui a perdu 45 % de sa valeur par rapport au dollar depuis le début de l’année, M. Erdogan compte sur ce sommet pour redorer son blason, notamment auprès de ses exportateurs, avides de nouveaux marchés en ces temps de crise monétaire. Le président turc a déjà effectué 46 visites dans 30 pays et emmène toujours dans son sillage des dizaines d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs.
Influence politique et sécuritaire
Le résultat est là . En dix-huit ans, le volume des échanges commerciaux a quintuplé, passant de 5,5 milliards de dollars (4,8 milliards d’euros) en 2003 à 25,3 milliards de dollars en 2020. Autrefois terre inconnue pour la diplomatie d’Ankara, l’Afrique compte actuellement 43 ambassades turques, contre 12 il y a vingt ans. Turkish Airlines dessert 61 villes du continent.
Les entrepreneurs turcs ont gagné des parts de marché en Afrique en construisant des routes, des stades et des aéroports, en vendant des matériaux de construction, des produits agroalimentaires, des machines textiles, des équipements médicaux, des produits d’hygiène. Vendus 20 % à 30 % moins cher que leurs équivalents européens, les produits turcs ont souvent meilleure réputation, auprès des consommateurs africains, que ceux fabriqués en Chine. Pour autant, les investissements directs turcs sur le continent, estimés à 6,5 milliards de dollars en dix-huit ans, ne sont pas grand-chose au regard des dizaines de milliards investis par la Chine ou l’Union européenne sur la même période.
Mais l’intérêt d’Ankara est surtout stratégique. L’implication de l’armée turque en Libye ne peut qu’inciter M. Erdogan à renforcer son influence politique et sécuritaire dans la région. En juillet 2020, son ministre des affaires étrangères, Mevlüt Çavusoglu, s’est rendu au Niger et y a signé des accords de coopération militaire dont la teneur est restée secrète. Des experts ont alors estimé qu’une base militaire pourrait y voir le jour, en plus de celles existant en Libye et en Somalie.
Les commandes de matériel militaire sont en hausse. Après le Maroc et la Tunisie, l’Ethiopie souhaite désormais acquérir des drones armés Bayraktar TB2, ainsi qu’une formation pour ses pilotes. Entre janvier et novembre, les ventes de matériel militaire turc à ce pays ont atteint 94,6 millions de dollars, contre 235 000 dollars pour la même période l’année dernière. L’Angola, le Tchad et le Maroc ont augmenté leurs commandes d’armes dans les mêmes proportions cette année, selon l’Union des exportateurs turcs.
Bourses d’études pour imams et théologiens
Auprès de ses partenaires africains, M. Erdogan aime à se présenter comme une alternative aux anciennes puissances coloniales, assurant que son pays est vierge de tout passé impérialiste. « En tant que Turquie, nous rejetons les approches orientalistes de l’Occident vis-à -vis du continent africain. Nous embrassons les peuples du continent africain sans discrimination », a-t-il déclaré en octobre lors de sa dernière tournée africaine.
Le rayonnement turc est aussi culturel et idéologique. « Les autorités entendent contribuer à l’enseignement de l’islam dans le monde », explique Bayram Balci, directeur de l’Institut français d’études anatoliennes (IFEA) à Istanbul. « Non seulement les fondations et les confréries religieuses turques sont actives en Afrique, mais elles proposent aussi des bourses aux imams et aux théologiens désireux de venir se former en Turquie », rappelle le chercheur. Plus de 5 000 jeunes Africains font actuellement leurs études à Istanbul ou à Ankara ; un cinquième d’entre eux a reçu une bourse.
Le « soft power » d’Ankara est à l’œuvre dans l’ouest de l’Afrique, où l’on ne compte plus les fondations islamiques turques à vocation humanitaire ou culturelle. Présente depuis les années 1990, la Fondation pour les droits de l’homme et l’aide humanitaire (IHH), qui intervient dans 41 pays, se targue d’avoir fourni des opérations gratuites de la cataracte à 100 000 patients africains. Le Croissant rouge turc et l’Agence turque de gestion des catastrophes et des situations d’urgence (AFAD) apportent leur soutien aux populations en matière d’accès à l’eau ou aux soins, notamment au Mali et au Niger.
175 écoles dans 25 pays
La direction des affaires religieuses (Diyanet), l’une des plus riches et des plus influentes institutions étatiques, contribue à la construction et à la restauration de mosquées au Mali, au Niger et au Ghana. L’Agence turque de coopération et de coordination (TIKA) vient pour sa part de mettre la dernière main à la restauration de la mosquée Nurul Hamidiye au Cap, en Afrique du Sud, premier partenaire commercial d’Ankara sur le continent.
La formation des élites africaines figure également au programme du gouvernement turc. La fondation islamique Maarif, contrôlée par l’Etat, gère 175 établissements scolaires dans 25 pays. Pour la plupart, il s’agit des écoles fondées par l’imam Fethullah Gülen et saisies par la Turquie après le coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016, ourdi, selon Ankara, par le prédicateur et son puissant mouvement.
« Ankara a repris à son profit une partie du savoir-faire [des anciennes] écoles Gülen. Elles proposent des cours en anglais, notamment dans des pays africains francophones. La France ne peut pas proposer ce service ; la Turquie le peut, et c’est ce qui fait en partie son succès », estime Bayram Balci.
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