Dans ce pays, le café a été interdit pendant une dizaine d’années, voici pourquoi

Ouest-France avec AFP, le 27/08/2025

Par Marine MOINE

Le café turc s’inscrit aujourd’hui dans le patrimoine de la Turquie. Mais ce breuvage amer vieux de 500 ans, cuit plutôt qu’infusé, n’a pas toujours fait l’unanimité. Malgré des siècles de tentatives d’interdictions, la boisson réunit toujours ses adeptes et n’a jamais disparu.

Le café turc est à la Turquie ce que l’espresso est à l’Italie. Empreint de traditions, ce nectar intense et amer, vieux de 500 ans, est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco depuis 2013. Son histoire est marquée par des tentatives de prohibition pour éviter qu’elle ne corrompe les foules. Aujourd’hui, bien que moins populaire à l’international que le café italien, le breuvage turc demeure un emblème de la culture du pays.

Un héritage Yéménite

Direction le Yémen du XVI^e siècle pour plonger aux origines du café turc. Un gouverneur ottoman, en voyage dans le pays voisin de l’Arabie saoudite, serait tombé sous le charme du fameux breuvage, d’après un article du Courrier de l’Unesco.  L’homme, de retour dans son empire, aurait alors fait entrer le café dans les cuisines du palais du sultan ottoman Soliman le Magnifique. Il n’en fallait pas plus pour que le café turc infuse toutes les strates de l’empire.

C’est ainsi qu’en 1554 un tout premier café, que l’on nomme kahvehanes en turc, ouvre ses portes pour sustenter les adeptes à Constantinople, l’ancienne cité connue aujourd’hui sous le nom d’Istanbul. Le café s’invite alors dans la vie sociale des Ottomans, jusqu’à s’imposer comme un outil de résolution de conflits. Une dispute éclate ? Un café suffit à rétablir le dialogue.

Le café turc est cuit plutôt qu’infusé

La boisson, que l’on célèbre chaque année le 5 septembre en Turquie, se transmet depuis des siècles de « générations en générations », selon l’agence de presse turque Anadolu. Derrière ce monstre de tradition se cache une technique bien particulière. Cuit plutôt qu’infusé, le café turc n’a rien d’un café ordinaire.

À l’intérieur d’un cezve, un pot à long manche, les grains torréfiés et moulus finement sont immergés dans de l’eau froide, selon le ministère de la Culture et du Tourisme de la République de Turquie. Le cezve est ensuite placé sur une source chaude, dans du charbon ou du sable par exemple, pour cuire le café et faire apparaître une mousse à la surface du liquide. La préparation doit ensuite être consommée lentement, accompagnée d’un verre d’eau et de loukoums.

Non filtrée, la préparation du café turc le rend particulièrement amer et intense. Les petits cubes sucrés doivent permettre de contrebalancer et d’équilibrer l’ensemble.

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Un breuvage sujet aux controverses

La technique, inoffensive de prime abord, n’est pas du goût de certains responsables politiques et religieux, qui voient d’un très mauvais œil l’arrivée de ce puissant nectar dans la société turque. Les effets du café sur l’organisme humain sont très vite connus des adeptes. Au XV^e siècle, avant que le café turc ne quitte le Yémen, lorsque les nuits de prières se font longues, les fidèles Soufis s’en servent pour se maintenir éveillés, relate CNN.

Alors que le café se popularise, les premières controverses apparaissent. En 1511, le gouverneur de la Mecque de l’époque, Hayır Bey, interdit le café dans la ville, d’après le magazine Géo. Pour l’homme religieux, l’Islam et cette boisson, jugée euphorisante, ne font pas bon ménage. Plus tard, au XVII^e siècle, le sultan ottoman Murad IV s’attaque à son tour au breuvage populaire. Au même titre que l’opium et le tabac, le café apparaît dangereux pour la souveraineté du sultan. Les bavardages qui accompagnent sa consommation déplaisent. De quoi justifier la destruction de tous les kahvehanes de Constantinople.

Une boisson ancrée dans les traditions

Malgré les interdictions à répétition, le café turc n’a jamais quitté les habitudes des habitants du pays. L’odeur des grains torréfiés parfume toujours les rues de la capitale turque. Prétexte pour engager une conversation ou emblème des retrouvailles, le breuvage reste au cœur de la vie sociale de l’ancien empire. Dans les kahvehanes, après avoir siroté lentement ce nectar et laissé refroidir la tasse, vous pouvez toujours vous laisser tenter par la tasséographie. Le rite consiste à trouver un sens aux formes dessinées par le marc de café. Plus symbolique que religieux, la lecture de prophéties dans les fonds de tasses se veut avant tout ludique, d’après CNN.

Sorti des kahvehanes, le café turc infuse également les traditions nationales actuelles. Devenu un invité récurrent des mariages turcs, il est l’objet d’un rituel, durant lequel les futures mariées servent le nectar à leur mari en y ajoutant une pointe de sel. Le conjoint doit alors boire le contenu de la tasse sans broncher pour prouver son affection, peut-on lire sur le site de l’Unesco.

De boisson prohibée à véritable sérum d’amour, il n’y a qu’un pas.

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