DÉCRYPTAGE – Ankara utilise «l’armée nationale syrienne» pour avancer ses pions en Syrie. Il regroupe différentes factions rebelles islamistes issues majoritairement de «l’armée syrienne libre».
Le régime syrien est tombé, Bachar el-Assad s’est enfui de Damas dimanche 8 décembre. L’offensive des rebelles islamistes, conduite depuis le 27 novembre, est venue à bout successivement de chaque ville : Alep, Hama, Homs puis Damas. Elle a été lancée par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe auparavant affilié à Al-Qaïda, depuis son réduit d’Idleb dans le nord-ouest de la Syrie. Un autre groupe est également à la manœuvre aux côtés du HTS : «l’armée nationale syrienne» (ANS). Elle regroupe entre 50.000 et 100.000 combattants, officiellement sous l’autorité du «gouvernement intérimaire syrien», sis à Gaziantep en Anatolie turque, une émanation politique des rebelles d’abord soutenue par le Qatar, puis la Turquie. L’ANS, lancée en 2017, est issue d’une fusion entre «l’armée syrienne libre», qui regroupait déjà plusieurs factions rebelles, et des groupes islamistes.
«Ce n’est pas une armée. Plutôt une ombrelle sous laquelle se rassemble une myriade de groupes aux effectifs plus ou moins lâches», spécifie Fabrice Balanche, spécialiste du Moyen-Orient qui revient d’un séjour en Syrie. Une ombrelle portée par le parrain turc qui trouve son intérêt à soutenir ces supplétifs indisciplinés. «Ankara veut construire une zone de protection à sa frontière d’Idleb à l’Irak sur une profondeur de trente kilomètres», ajoute-t-il. Elle compte y renvoyer quatre millions de réfugiés syriens présents sur son sol depuis le début du conflit en 2011 une fois ce territoire conquis, en lieu et place des habitants kurdes. «Tout le territoire conquis servira à un nettoyage ethnique», relève Fabrice Balanche. Les autorités d’Ankara accusent les forces kurdes de Syrie de collusion avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation qui revendique l’autonomie des régions kurdes de Turquie.
Expulser les Kurdes
Un plan déjà mis en œuvre par la Turquie aidée de «l’armée nationale syrienne» en janvier 2018. Ankara avait conquis Afrine, une ville du nord, et ses abords contre les Forces Démocratiques Syriennes (FDS), dominées par les Kurdes. Ces derniers avaient été chassés, puis remplacés par des combattants de l’ANS et les réfugiés expulsés de Turquie. Près de 250.000 civils avaient fui, surtout des minorités ethniques, vers les zones contrôlées par les Kurdes, dont Tell Riffat. Une ville ciblée par l’ANS au cours de l’offensive d’Alep la semaine dernière. «Les Kurdes sont leur proie. Les Turcs ont dit aux combattants de l’ANS qu’ils pourraient refaire leur vie sur les terres prises aux Kurdes», ajoute Fabrice Balanche.
Les forces démocratiques syriennes, soutenues par l’Occident, ont combattu Daesh au cours du conflit syrien et ont acquis une autonomie de fait sur près d’un quart de la Syrie. La Turquie, qui y voit une menace existentielle, a mené trois offensives contre eux. La dernière, Source de Paix en 2019, a été déclenchée dans le nord de la Syrie avec l’ANS à la suite du retrait des troupes américaines. Après vingt jours de combat, les Kurdes sont défaits et les Russes patrouillent sur la ligne de démarcation. À nouveau, l’ANS a été remarquée pour sa cruauté et sa soumission à la Turquie. Ankara a également utilisé ces combattants pour soutenir l’Azerbaïdjan contre les forces arméniennes du Haut-Karabakh en 2020, puis via la société militaire privée Sarmat en Libye et enfin pour protéger des intérêts turcs au Sahel. «Ce sont des Bachi-Bouzouks», résume Fabrice Balanche, évoquant ces cavaliers mercenaires de l’empire ottoman.
Toutefois, seule une partie de ces combattants sont aguerris, notamment la légion turkmène financée par la Turquie. L’indiscipline de l’ANS est mal vue par le groupe rival du HTS. «Entre les deux, les relations se dégradent depuis 2018 quand le HTS a pris le contrôle de la région d’Idleb et éliminé tous ses rivaux. L’ANS a fui vers Afrine sous contrôle turc», précise Fabrice Balanche. «Aujourd’hui ils sont unis, car la Turquie est à la manœuvre à Alep», ajoute-t-il. Désormais que le pouvoir est aux mains du HTS, les différentes factions pourront-elles s’entendre ? Les prochains jours le démontreront. «La Turquie est prête à assumer la responsabilité de tout ce qui est nécessaire pour panser les blessures de la Syrie et garantir son unité, son intégrité et sa sécurité», a d’ores et déjà écrit le chef de la diplomatie turque sur X. Une déclaration qui laisse présager une forte implication de la Turquie et donc, par ricochet, de ses supplétifs de l’ANS.





