Resserrement monétaire drastique
Face à une situation critique, au bord de la banqueroute, Erdogan, acculé après sa fragile réélection l’année dernière, s’est résolu à laisser les manettes de l’économie à une nouvelle équipe, portée par le ministre des Finances Mehmet ÅžimÅŸek, ancien banquier d’affaires. Dans un revirement total mais très attendu, la banque centrale a drastiquement augmenté les taux d’intérêt de 8,5% à 50% pour juguler l’inflation. L’économiste turc indépendant Mahfi Egilmez, ancien conseiller au Trésor, estime que si ce resserrement monétaire était intervenu il y a trois ans, l’inflation ne dépasserait pas 10% aujourd’hui.
Depuis 2022, le gouvernement a augmenté le salaire minimum de 120 %, passant de 5 000 à 17 500 livres. Pour autant, avec des loyers qui ont triplé voire quadruplé et une livre turque en difficulté, ces augmentations sont rapidement absorbées. « En janvier, mon revenu converti en dollars valait 1 500, aujourd’hui, c’est à peine 1 100 », se lamente Kaan, un jeune électricien. Mesures d’austérité oblige, en juillet, pour la première fois, le «smic» n’a même pas été relevé, bien qu’il concerne près de 40 % des travailleurs. Dans ce contexte, les Turcs ont perdu toute confiance dans leur monnaie. Si bien que le dollar et l’euro remplacent progressivement la Livre et les échanges en cryptomonnaie explosent.
Des commerçants désespérés
À 1h30 de bateau d’Istanbul, sur l’une des trois îles aux Princes, à Heybeliada, petit coin de paradis où vivent 3 000 âmes à l’année et dix fois plus l’été, l’économie insulaire souffre aussi. Ce gérant de 47 ans assure avoir perdu 70% de clientèle dans sa boutique de vêtements. « Les Turcs n’achètent plus comme avant, raconte Mesut, le vague à l’âme. Même les étrangers trouvent que c’est cher ! On réussit à se vêtir et à se nourrir mais c’est tout ce qu’on fait.» Mahir, 43 ans, un autre commerçant de l’île qui gère une pâtisserie depuis 18 ans se dit aussi « énormément impacté ». « Je ne fais plus les comptes aujourd’hui, si je le faisais encore, j’aurais fermé depuis longtemps », explique-t-il avec un sourire nerveux. Lui, qui a toujours bouclé ses fins de mois est plus souvent dans le rouge, alors que son loyer ampute la moitié de ses revenus contre un tiers auparavant. Pour tenir le coup il s’endette auprès de fournisseurs qui ont eux-mêmes une ardoise auprès de leurs distributeurs.
Retour dans la vieille ville d’Istanbul. Les dômes majestueux dominent l’horizon. Les vendeurs ambulants serpentent sur les rues en direction du Grand Bazar, attraction numéro une de la cité. Un monde à lui tout seul avec son labyrinthe fascinant de 60 ruelles couvertes et ses milliers de boutiques. Royaume du marchandage et de l’artisanat, où les odeurs d’épices exotiques, de cuir et de café fraîchement torréfié flottent dans l’air, on y trouve de tout. Des bijoux en or, des tapis, des lanternes en verre soufflé… Et des commerçants désespérés. Ali, un vendeur de thé au petit gabarit, vêtu d’un jogging gris attend le chaland. « Les affaires sont mauvaises, tout est devenu trop cher, soupire-t-il. Peu importe votre métier, un salaire ne suffit plus ici.»