La dégradation des écosystèmes aquatiques s’accélère

Le Monde, le 28/08/2024

Par Martine Valo

Les fleuves dont le débit est en baisse sont de plus en plus nombreux, tandis que les stockages d’eau artificiels augmentent, selon l’Organisation des Nations unies pour la protection de l’environnement.

Le lac Meyil Obruk, dont l’eau est devenue rose en raison de la température et de facteurs géologiques, dans la province de Konya (Turquie), le 21 août 2020. ABDULLAH COSKUN / ANADOLU VIA AFP

Sur la Planète bleue, les ressources en eau douce disponible se réduisent et leur qualité se détériore. Ce sombre tableau est tracé à grands traits dans une salve de trois rapports rendus publics, mercredi 28 août, par les Nations unies. L’objectif du développement durable numéro 6 que se sont fixé les Etats – garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement d’ici à 2030 et donc assurer une gestion durable – semble plus que jamais inatteignable. Sans efforts significatifs à l’égard de la pollution généralisée, sans une meilleure gestion concertée de la ressource avec toutes les parties prenantes, y compris transfrontalières, ce sont des milliards de personnes qui risquent d’être affectés à l’avenir.

Parce qu’ils constituent la source même de l’alimentation des humains, mais aussi de l’ensemble de la biodiversité, l’état de dégradation des écosystèmes aquatiques inquiète particulièrement. En effet, le débit de 2,9 % des fleuves et des rivières connaît une baisse « significative Â» dans 402 bassins-versants, selon les données correspondant à la période 2017-2021. C’est au moins cinq fois plus qu’il y a quinze ans. Les rapporteurs précisent qu’environ 107 millions de personnes vivant dans ces régions peuvent être touchées par le manque d’eau.

Le changement climatique contribue certes à ces pertes de débit, mais le défrichement des terres et le déboisement à très grande échelle pour l’agriculture et l’urbanisation jouent un rôle déterminant dans les moindres capacités des sols à stocker les précipitations et dans les modifications des schémas de ruissellement en surface.

L’eau est au cÅ“ur du changement climatique : non seulement les régimes de précipitations sont bouleversés, mais l’évapotranspiration s’accentue avec l’élévation des températures, les sécheresses s’allongent et deviennent plus intenses. Dans 364 bassins-versants, les plans d’eau se réduisent, voire disparaissent totalement. Le phénomène s’observe en particulier en Amérique du Sud, en Afrique australe et en Australie notamment. Environ 93 millions de personnes résident dans ces parties du monde où les ressources hydriques permanentes diminuent. Et la demande augmente partout, ce qui pèse encore davantage sur ressources.

Multiples barrages et dérivations

Néanmoins, sur les cartes de l’ONU, parmi les 12 500 bassins-versants pris en compte, une partie affiche une tendance positive. L’augmentation des superficies d’eau permanentes dans certaines régions peut « Ãªtre attribuée aux effets du changement climatique, comme à la fonte accrue du pergélisol Â», indique Stuart Crane, auteur principal de rapport. Mais pas seulement : cet indicateur, a priori encourageant, correspond en réalité principalement à la construction de barrages et de réservoirs non comptabilisés jusqu’à présent.

Le nombre de retenues, étangs et autres bassines a ainsi bondi en Asie du Sud-Est depuis 2000, en particulier en Chine. Importante pour la sécurité de l’alimentation des sociétés humaines, cette tendance au stockage n’est pas sans conséquence pour les aquifères sous-terrains. De surcroît, tous ces ouvrages artificiels déconnectent les écosystèmes des rivières et des lacs et concentrent des nutriments provenant de l’agriculture notamment, ce qui affecte la qualité de l’eau. La revue Geophysical Research Letters a publié le 22 août une étude sur 250 grands réservoirs des Etats-Unis montrant que leurs contenus déclinent dans le temps, notamment à cause de l’accumulation de sédiments.

Autre enseignement de ce rapport, la tendance à l’augmentation globale des eaux de surface de façon saisonnière cette fois. Celle-ci est alors le reflet de précipitations accrues, en particulier dans des zones tropicales et dans les régions concernées par la fonte des glaces.

Par ailleurs, l’une des clés de la bonne santé des cours d’eau tient à leur écoulement. Or, seul un tiers des plus longues rivières du monde ne sont pas entrecoupées de multiples barrages et dérivations. Celles-ci se situent principalement dans des contrées éloignées des centres économiques, en Arctique, en Amazonie et dans le bassin du Congo.

En agrégeant différents indicateurs à partir de données fournies par les Etats – avec des lacunes car certains n’en ont pas les moyens – et des images satellitaires, le Programme pour l’environnement des Nations unies et l’ONU-Eau notent dans ce rapport que la moitié des pays – soit 90 sur 185 – compte au moins un écosystème dans un état dégradé durant la période 2017-2021. L’Asie centrale et du Sud-Est ainsi que l’Afrique sont particulièrement touchées. Sur ce dernier continent, le pourcentage d’écosystèmes dégradés au cours de ces cinq dernières années atteint au moins 60 %. L’Océanie, à l’inverse, affiche une tendance à l’amélioration depuis 2000.

La pollution, facteur majeur du déclin de la vie aquatique

L’état des grands lacs se dégrade globalement dans le monde. En 2021, 26 % d’entre eux souffrent de « niveaux extrêmement élevés Â» de turbidité et 14 % d’eutrophisation et donc de perte d’oxygène. Un haut niveau de particules et de nutriments peut aussi conduire à des blooms d’algues – dont certaines sont toxiques.

Entre 600 et 930 bassins-versants sont touchés, ce qui a un impact potentiel pour plusieurs centaines de millions de personnes et pour la biodiversité qui en dépend. Cette fois ce sont l’Amérique du Nord et l’Europe qui apparaissent les plus concernées, parce qu’elles abritent une majorité de ces lacs et qu’elles y déversent intrants de l’agriculture intensive, produits des ruissellements urbains et industriels.

Or, le rôle des lacs – qui sont la source d’environ 90 % de l’eau de surface non gelée – ne se limite pas à la fourniture d’eau potabilisable, à la production d’énergie, ni aux transports et aux loisirs : les auteurs rappellent que depuis 1970, les espèces d’eau douce ont chuté de 83 %. La pollution qui continue de s’aggraver depuis deux décennies, reste un facteur majeur du déclin de la vie aquatique.

Pour leur performance dans la filtration des contaminants et le stockage du carbone, les mangroves font l’objet d’une attention spécifique. Le monde a perdu 34 % (5 250 kilomètres carrés) de ces forêts côtières depuis 1996. La saignée s’est surtout produite en Asie du Sud où 47 % de ces écosystèmes ont disparu en une vingtaine d’années. Cependant, le rythme des destructions dues surtout à l’aquaculture et à l’agriculture s’est nettement ralenti à partir de 2007.

Avec ce rapport, l’ONU entend une nouvelle fois alerter au premier chef les décideurs. Si les promesses d’investir dans la préservation et la restauration des écosystèmes aquatiques n’ont jamais été aussi nombreuses que depuis la grande conférence sur l’eau à New York en mars 2023 (plus de 800 engagements), les dépenses réelles, elles, ont régressé de 15 % entre 2015 et 2021. Stuart Crane avance entre autres multiples raisons un possible « manque de compréhension des conséquences de la dégradation, ainsi que de la valeur des biens et services dérivés des écosystèmes d’eau douce. Â» Ces éléments ne sont pas considérés comme prioritaires dans les décisions qui ne relèvent pas directement du secteur de l’eau.

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