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Delphine Minoui
Le Figaro – 14/10/2014
Ankara a préféré bombarder des combattants kurdes dans le Sud-Est turc plutôt que les djihadistes à Kobané.
Quel contraste avec le fracas des bombes et la poussière des combats! Attablé à ce café de Birecik, au bord de l’Euphrate, Idris Nassan savoure une pause salutaire. Le politicien kurde de Syrie est arrivé l’avant-veille de Kobané, sa ville qu’il n’a jamais quittée depuis l’assaut lancé le mois passé par l’État islamique. Sa femme, Roshan, réfugiée ici dès le début de l’offensive, est blottie dans ses bras.À quarante minutes de l’enfer, elle l’écoute raconter la «guerre» d’à côté.
«Depuis quelques jours, on a repris un peu espoir. Après les cafouillages du début, il y a une meilleure coordination entre la coalition et les forces kurdes», confie Idris Nassan, en charge des Affaires étrangères au sein du gouvernement local de Kobané. Il y a cinq minutes, ses amis de l’YPG (Unités de protection du peuple), la milice kurde, l’ont appelé pour lui donner les dernières nouvelles du front.
«Face aux tanks et aux roquettes à longue portée de Daech, nous avons un besoin urgent en forces et en armes, notamment antichars, pour nous défendre sur le terrain»
Idris Nassan, en charge des Affaires étrangères au sein du gouvernement local de Kobané
«Hier soir, ils ont détruit plusieurs voitures piégées de Daech avant qu’elles n’explosent. La coalition, elle, a mené 21 frappes pendant la nuit. Elle a bombardé un convoi d’artillerie qui arrivait de l’Ouest. Du coup, les combattants kurdes ont regagné du terrain en allant aussitôt remplacer le drapeau noir par le leur dans la ville de Tel Shayer, à 4 kilomètres de Kobané. À l’est, le drapeau islamique a également disparu de la colline de Kani Kurdan. Et grâce aux frappes, nous avons pu récupérer le centre-ville», dit-il. Mais l’appui du ciel n’est pas suffisant. «Face aux tanks et aux roquettes à longue portée de Daech, nous avons un besoin urgent en forces et en armes, notamment antichars, pour nous défendre sur le terrain», insiste-t-il, dans un parfait anglais.
Les renforts sont là, pourtant, prêts à franchir la frontière au moindre feu vert turc. Aux volontaires kurdes, venus des quatre coins de Turquie – parfois de l’étranger -, qui font le pied de grue à Suruç, côté turc, s’ajoutent, selon Idris, «au moins mille combattants de l’Armée syrienne libre». Cette dernière avait déjà dépêché sur place quelques katibas (bataillons) avant que l’État islamique n’encercle Kobané. «On peut aussi compter sur le soutien du gouvernement régional du Kurdistan irakien», ajoute-t-il.
Massoud Barzani, son leader, qui recevait mardi, à Erbil, Saleh Muslim, le président du PYD (Parti de l’Union démocratique, principal mouvement des Kurdes syriens), aurait d’ores et déjà offert à ses «frères» kurdes de Syrie un stock de munitions. Or Kobané, aujourd’hui encerclée par Daech – qui contrôle également la ville orientale de Tall al-Abyad – n’a aucun moyen de récupérer ces armes, bloquées dans le canton kurde de «Jazera», plus à l’est. «Si la Turquie, seul point de passage possible, lève son blocus et ouvre un corridor le long de sa frontière, je suis convaincu que nous pouvons libérer Kobané en 24 heures, et ses environs en une semaine», affirme Idris Nassan, également membre actif du Parti démocratique kurde syrien, proche du PYD.
«Les Turcs mettent de l’huile sur le feu. Ils ont une lecture biaisée de Kobané. Ils y voient un combat entre “terroristes”. Comment oser comparer l’YPG à Daech ? Kobané, ce sont des civils livrés à des coupeurs de gorge !»
Idris Nassan
Mais la Turquie ne veut rien entendre. Persuadé qu’en aidant Kobané, il favorise le retour en force des rebelles kurdes du PKK, considérés comme les parrains de l’YPG, Ankara durcit le ton plus qu’il ne cherche des compromis. Lundi soir, des avions turcs ont bombardé des positions du PKK, dans le sud-est de la Turquie. Une première depuis le fragile cessez-le-feu de mars 2013. «Les Turcs mettent de l’huile sur le feu. Le problème, c’est qu’ils ont une lecture biaisée de Kobané. Ils y voient un combat entre “terroristes”. Comment oser comparer l’YPG à Daech? Kobané, ce sont des civils livrés à des coupeurs de gorge!», soupire Idris Nassan.
Autre source d’inquiétude pour Ankara: les ambiguïtés du PYD envers Bachar el-Assad. Lors d’entretiens secrets, la semaine dernière, entre Saleh Muslim et les renseignements turcs, ces derniers auraient conditionné l’ouverture de la frontière à la rupture des relations avec Damas, la dissolution des gouvernorats mis en place dans les enclaves kurdes et la distanciation à l’égard du PKK. «Nous n’avons jamais été pro-Bachar. En 2011, Kobané a été une des premières villes à manifester contre Damas. En tant que minorité, nous voulons la démocratie et le respect des droits de l’homme. C’est tout!», insiste Idris.
Piégées par leur paranoïa, les forces de sécurité turques détiennent toujours à Suruç environ 180 des 300 Kurdes de Kobané arrêtés la semaine dernière à la frontière. Parmi eux: des journalistes, des activistes et des membres du parti d’Idris, accusés de collusion avec le PKK. «C’est absurde! Quand je les aurai fait libérer, je repartirai à Kobané», dit-il, la main serrée contre celle de son épouse.
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