Religions. Bataille culturelle en Turquie autour des célébrations de Noël et du Nouvel an

Courrier International, le 22/12/2023

Sur les campus, où des sapins de Noël improvisés ont été vandalisés, comme dans les avenues commerçantes du pays, un conflit oppose les partisans des célébrations et leurs adversaires conservateurs.

Devant un magasin d’Istanbul (Turquie), le 8 décembre 2023. photo MURAD SEZER/REUTERS
 

“Cette année, dans notre pays paradisiaque, les opposants aux célébrations de fin d’année se sont réveillés plus tôt que d’habitude, ironise un éditorialiste du média en ligne turc T24. Normalement ils ne s’activent qu’à l’approche de la dernière semaine de décembre, mais cette fois, nos frères de Rize ont décidé d’agir plus tôt pour remporter la médaille”, s’amuse le journaliste.

Dans cette ville conservatrice au bord de la mer Noire, dans le nord-est de la Turquie, d’où est originaire la famille du président islamo-nationaliste, Recep Tayyip Erdogan, des voix se sont élevées contre la décoration d’un centre commercial, orné d’un ruban de papier cadeau qui, selon ses détracteurs, représenterait en fait une croix. La décoration a rapidement été modifiée, souligne le journaliste. “Heureusement que quelques musulmans de Rize se sont rendu compte de la gravité de la situation, sinon c’est tout une partie de la ville qui risquait de changer de religion”, feint de se féliciter le journaliste.

Ces dernières années, les rues des avenues commerçantes du pays ont été illuminées de décorations de fêtes, à destination des touristes mais aussi des consommateurs turcs. Mais dans l’esprit de beaucoup, les symboles de Noël et du nouvel an se mélangent, ces deux fêtes n’étant plus vraiment célébrées dans le pays depuis la quasi-disparition au cours du XXe siècle des minorités chrétiennes du pays, jadis très nombreuses.

Désireux de donner un air de fête à leur campus, des étudiants de l’université stambouliote de Yildiz ont décidé de décorer un des arbres. Mal leur en a pris, des étudiants farouchement opposé à cette initiative ont pris l’habitude d’attendre la fin de la journée pour enlever les décorations et les jeter aux ordures. Résolus à ne pas laisser leurs guirlandes réduites en charpie, les étudiants ont finalement décidé, après l’avoir redécoré, de monter la garde devant leur arbre, rapporte le quotidien Evrensel.

Bugün #YıldızlıAğaç’taydık. Ağaçlarımızı hep birlikte süsledik. Yıldız’da karanlığa karşı beraberiz, 2024’te demokratik üniversite mücadelesinden vazgeçmeyeceğiz! pic.twitter.com/VJt5tBaiFt

— YTÜ Emek Gençliği (@ytuemekgencligi) December 11, 2023

Les étudiants de l’université d’Istanbul, qui ont à leur tour voulu décorer un pin de leur université, en ont, eux, été physiquement empêchés par des responsables de l’université et des gardes de sécurité, montre le média en ligne Bianet dans une vidéo.

“En particulier dans les grandes villes, on voit désormais à la vitrine des commerces et même de certaines maisons des lumières de Noël comme si nous étions un pays chrétien”, s’alarme le quotidien islamiste Yeni Akit. Le journal s’est donc entretenu avec des fonctionnaires religieux et des universitaires pour parvenir à un consensus clair : “La célébration du nouvel an et des superstitions chrétiennes vise à changer notre religion et est contraire à l’islam”.

Le 18 décembre, à l’occasion de sa dernière prise de parole de l’année à l’Assemblée, le député d’opposition George Aslan, unique député chrétien du pays, élu de la ville de Mardin (Sud-Est) pour le parti de gauche prokurde, a tenu à souhaiter dans sa langue maternelle, le syriaque, un joyeux Noël aux membres de sa communauté.

Il a immédiatement été interrompu par des voix venues des rangs de l’extrême droite, rapporte le média en ligne Bianet : “Est-ce une pièce de théâtre ?” a lancé une élue. “Monsieur le président, arrêtez cela ! Ici on parle turc !” a intimé un autre, qui a également menacé de s’en prendre physiquement aux députés kurdes qui applaudissaient la prise de parole. “Cette langue ne vient pas d’une autre planète, nous sommes le peuple indigène de cette terre depuis des milliers d’années !” lui a notamment rétorqué le député.

Descendants d’un vieux peuple de Mésopotamie, les Assyro-Chaldéens, qui parlent le syriaque, un dérivé de l’araméen, et sont de confession chrétienne, sont aujourd’hui une toute petite minorité du sud-est de la Turquie depuis qu’ils ont été décimés lors du génocide assyrien de 1915-1918, qui a fait au moins 500 000 victimes.

Courrier international

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