Turquie-Israël : le début d’un nouveau chapitre

Le Figaro, le 17/08/2022

Par Delphine Minoui et Marc Henry
 

Le premier ministre israélien Yair Lapid à Jérusalem, le 14 août 2022. POOL / REUTERS

ANALYSE – Tel-Aviv et Ankara ont officialisé le rétablissement de leurs relations diplomatiques, douze ans après les avoir gelées.

La normalisation est désormais entérinée. Après des années de brouille diplomatique, entrecoupée de timides tentatives de rapprochement, la Turquie et Israël ont annoncé ce mercredi 17 août avoir rétabli leurs relations. « Il a été décidé d’élever le niveau des liens entre les deux pays à des relations diplomatiques pleines et entières et de renvoyer les ambassadeurs et les consuls généraux dans les deux pays Â», a indiqué le premier ministre israélien Yair Lapid dans un communiqué. À Ankara, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavusoglu, a aussitôt confirmé ce dégel inédit en précisant dans la foulée que la Turquie « n’abandonnerait pas la cause ­palestinienne Â».

La crise opposant les deux pays remonte à l’assaut meurtrier, le 31 mai 2010, d’un navire turc par les forces israéliennes. Ce jour-là, des commandos débarqués par ­hélicoptère ouvrent le feu sur le Mavi-Marmara, membre d’une flottille internationale qui tentait de briser le blocus de Gaza pour apporter des vivres à la population. Neuf militants sont tués et au moins 28 personnes sont blessées lors de cette attaque qui débouche sur un rappel des ambassadeurs respectifs des deux pays. En 2013, sur insistance du président amé­ricain Barack Obama, le premier ministre israélien de l’époque, Benyamin Netanyahou, présente ses excuses à Recep Tayyip ­Erdogan – un premier geste qui se traduit par une réintégration des ambassadeurs en 2016.

Deux ans plus tard, les relations se dégradent à nouveau lorsque Ankara décide d’expulser l’envoyé israélien pour condamner la mort de manifestants palestiniens dans la bande de Gaza. Israël riposte alors en ­renvoyant le consul général turc à ­Jérusalem. Peu avant, le président turc avait également fermement condamné le transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, en profitant d’un ­sommet extraordinaire de l’Organi­sation de la conférence ­islamique à Istanbul pour se faire le porte-parole des « opprimés Â» du monde arabo-musulman.

«Un atout pour la stabilité régionale»

Contexte international et économique oblige, une ébauche de rapprochement est finalement amorcée début 2022. Soucieux d’apaiser les tensions avec la Turquie, le nouveau président israélien, Isaac Herzog, se rend dès le mois de mars à Ankara et Istanbul. Sa visite est suivie par celle, en mai, du ministre turc des Affaires étrangères – le premier haut responsable turc à se rendre à Jérusalem en quinze ans. Pour Ankara, ce nouveau chapitre s’inscrit dans une volonté straté­gique assumée de briser son isolement en normalisant ses ­relations avec ses ennemis d’hier : Égypte, Émirats arabes unis, Arabie saoudite. En pleine récession, marquée par une inflation record doublée d’une dépréciation monétaire, la Turquie espère attirer un maximum d’investisseurs… Et de touristes. Les avions des compagnies aériennes israéliennes devraient, à ce titre, bientôt être autorisés à ­atterrir à Istanbul et Antalya – une première en quinze ans.

Pour Israël qui attendait patiemment ce moment, le rétablissement des relations diplomatiques avec la Turquie constitue « un atout pour la stabilité régionale et une nouvelle économique très importante pour les citoyens Â», s’est félicité Yair Lapid dans sa déclaration de mercredi. Son annonce fait évidemment allusion à deux dossiers cruciaux pour sa sécurité. D’abord les activités de la branche extérieure du Hamas, les islamistes au pouvoir dans la bande de Gaza – dont Israël espère obtenir la limitation, voire l’interdiction sur le territoire turc. ­Ensuite, la question iranienne : ce rapprochement est perçu comme pouvant constituer un début d’alliance contre la présence militaire de la République islamique en ­Syrie, appréhendée comme une menace par les deux pays.

Les services de renseignements israéliens et turcs sont récemment parvenus à faire échouer des projets d’enlèvements et d’assassinats de touristes israéliens à Istanbul. Une dizaine de « suspects Â», qui auraient été manipulés par les ­gardiens de la révolution iraniens, ont été arrêtés avant de passer à l’action. Téhéran a toutefois ­démenti la moindre implication, sans réellement convaincre. Sur le front syrien, les aviations isra­élienne et turque communiquent régulièrement pour éviter des « affrontements accidentels » lors d’opérations menées dans l’espace aérien syrien, affirment des ­médias israéliens.

La question de la coopération énergétique entre les deux pays est également au centre de cette nouvelle lune de miel. En janvier, le président Erdogan s’était dit prêt à « coopérer » sur un projet de ­gazoduc en Méditerranée orien­tale, auquel il s’était autrefois ­opposé. Un sujet aujourd’hui primordial alors que plusieurs pays européens cherchent à réduire leur dépendance au gaz russe sur fond de guerre en Ukraine.

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