La Balkanatolie ou la découverte d’un continent oublié entre l’Europe et l’Afrique

Le Figaro, le 08/03/2022

Par Vincent Bordenave

  
Ce continent oublié était relié à l’Europe et à l’Asie avant de rejoindre totalement le continent européen. Infographie Le Figaro
 

DÉCRYPTAGE – Il y a plus de 34 millions d’années, la Balkanatolie abritait une faune unique, qui a disparu quand elle a été reliée à l’Europe et à l’Asie.

Un continent oublié, des animaux extraordinaires à nul autre pareils sur la planète… On croirait l’histoire sortie d’un conte, pourtant il s’agit bien de travaux scientifiques des plus sérieux, publiés dans Earth Science Reviews (mars 2022). Le continent se nomme la Balkanatolie. Il a disparu il y a 34 millions d’années, absorbé par la plaque tectonique européenne. Mais avant de disparaître, il était habité par une faune unique dont on peut lire les traces dans les sols du sud de l’Europe, aux confins des Balkans et de la Turquie.

«Des équipes de fouilles ont d’abord mis au jour des fossiles d’animaux très inhabituels pour la région, raconte Alexis Licht, paléo et bio-géographe au CNRS, premier auteur de la publication. Des marsupiaux proches des faunes sud-américaines, ainsi que des sortes de félins archaïques qui avaient disparu d’Europe il y a pourtant plus de 55 millions d’années. On a aussi découvert des mammifères dont la morphologie rappelle celle des hippopotames, mais qui ne sont pas du tout de la même famille…»

Une population assez homogène

Face à tant de mystères, il a d’abord fallu s’assurer que les datations de ces découvertes étaient correctes. La plupart des fossiles mis au jour correspondaient à des espèces, ou des groupes référencés à des époques beaucoup plus lointaines. «Ensuite, nous avons travaillé sur des scénarios qui pouvaient expliquer ces présences inattendues», poursuit Alexis Licht. La solution repose donc sur l’existence de ce continent totalement isolée des autres. L’histoire géologique de la Balkanatolie est connue depuis quelques années. Elle se compose de fragments d’un ancien continent appelé «Grand Adria», issu du supercontinent Gondwana.

De la taille du Groenland, il a commencé à entrer en collision avec l’Europe il y a 100 millions d’années. «Ce qu’on ignore, c’est si ce continent était une grande terre émergée comme l’Australie, ou bien s’il s’agissait d’archipels comme les îles d’Asie du Sud-Est, continue Alexis Licht. Ce qui est certain, c’est que les terres n’étaient pas séparées par des eaux trop profondes. En fonction des périodes climatiques et de la hauteur du niveau des mers, les terres ont au moins été connectées à plusieurs reprises. Les fossiles nous montrent en effet que le continent était occupé par une population assez homogène.»

Le destin de la Balkanatolie rappelle celui des faunes australiennes actuelles, elles aussi en train de perdre leur spécificitéPendant près de 20 millions d’années se sont épanouies une faune et une flore sans contact avec les autres espèces de la planète. Les populations balkanatoliennes ont évolué de manière unique, elles se sont totalement différenciées des autres animaux, un peu à la manière de ce qu’on peut observer en Australie. En effet, l’île-continent est elle aussi dotée d’une faune unique avec une domination des marsupiaux comme les kangourous ou les koalas, quand partout ailleurs ce sont les animaux placentaires qui se sont imposés. L’évolution est un processus naturel lent qui répond aux règles de la sélection naturelle et qui comporte une grande part d’aléatoire. «Dans cet isolat, qu’on appelle une province biogéographique, la sélection naturelle a favorisé l’essor d’espèces totalement uniques à partir des lointains ancêtres des espèces actuelles», explique Alexis Licht.

Modèle australien

Ce petit univers, coupé du reste de la planète a fini par disparaître en deux temps. Il y a environ 40 millions d’années, la tectonique des plaques a conduit à la formation de premiers corridors à l’est, entre la Balkanatolie et le continent asiatique. Des gros mammifères, ancêtre des rhinocéros, des éléphants, ou des cervidés ont fait leur apparition sur le continent. «Cette arrivée a totalement bouleversé l’équilibre biologique de la Balkanatolie, qui a perdu sa spécificité avec la disparition de toutes les espèces endémiques, commente Alexis Licht. Puis, il y a 34 millions d’années, la grande glaciation (responsable de la formation de la calotte antarctique) a abaissé le niveau marin et a relié la Balkanatolie à l’Europe occidentale. La Balkanatolie a donc servi de zone tampon en accueillant la faune d’Asie plusieurs millions d’années avant qu’elle ne rejoigne l’Europe.» La faune terrestre s’est ainsi uniformisée, ce qui explique que l’on retrouve les mêmes familles un peu partout en Eurasie.

Le destin de la Balkanatolie rappelle celui des faunes australiennes actuelles, elles aussi en train de perdre leur spécificité. Non pas suite à un phénomène de glaciation ou tectonique, mais par la multiplication des moyens de transport, qui ont totalement rompu leur isolation. Par exemple, les lapins, qui étaient strictement absents il y a moins d’un siècle, se sont répandus comme une traînée de poudre, mettant en danger des espèces endémiques comme les différentes espèces de souris-kangourous.

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