En Turquie, la mort d’une jeune Kurde relance le débat sur la torture en prison

Courrier International, le 15/12/2021

Garibe Gezer, une femme issue de la minorité kurde, a été retrouvée morte dans la cellule où elle était placée à l’isolement. Elle se plaignait depuis longtemps du traitement dont elle se disait victime de la part des gardiens.

Garibe Gezer, une jeune femme de 28 ans, a été retrouvée morte le 9 décembre dans sa cellule de la prison de Kandira, à l’est d’Istanbul. “Dans cette même prison, le 24 mai dernier, après avoir été victime de passages à tabac et de brimades sexuelles, elle avait déjà tenté de se suicider”, rapporte le journal prokurde Yeni Yasam.

Dans des lettres, elle avait tenté de raconter ce qu’elle subissait en détention, mais elles avaient été saisies et détruites par l’administration pénitentiaire. Elle avait donc raconté sa situation à sa famille lors de son échange téléphonique hebdomadaire, mais cela lui avait valu un placement au cachot et de nouvelles tortures.”

“Après tout, ce n’étaient que les déclarations d’une femme, d’une Kurde, d’une terroriste, comme la qualifie l’État [turc]”, ironise Yani Yasam. “Ces déclarations n’étaient pas dignes de confiance, pas dignes d’entacher la réputation des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire.”

Les avocates de la jeune femme, qui voulaient s’entretenir avec la direction de la prison, n’ont pas été admises à l’intérieur des lieux, rapporte Sendika. Le média d’opposition en ligne ajoute que les avocats et les membres de la famille venus récupérer le corps à la morgue le lendemain ont eu maille à partir avec des policiers présents sur les lieux, qui s’en seraient pris physiquement à plusieurs d’entre eux.

Une famille éprouvée

Le décès de la jeune femme vient endeuiller cette famille originaire de Dargeçit, dans le sud-est de la Turquie, déjà très durement éprouvée, relate le média en ligne Gazete Duvar.

Ainsi, Bilal, l’un des 11 frères et sœurs de la famille Gezer, a trouvé la mort le 7 octobre 2014 “lors des événements de Kobané”. Ce jour-là, les Kurdes de Turquie manifestent contre le refus de l’État turc de laisser passer les volontaires désirant traverser la frontière syrienne pour aller aider la ville kurde de Kobané, assiégée par les djihadistes de l’organisation État islamique. Les manifestations dégénèrent en affrontements avec les forces de l’ordre et avec des milices islamistes ou ultranationalistes, faisant 46 morts. Alors qu’il allait s’enquérir au commissariat du décès de son frère, Mehmet est blessé par des tirs des forces spéciales “qui l’ont laissé lourdement handicapé”.

En tout, neuf membres de la famille font l’objet de poursuites judiciaires, dont Garibe Gezer, arrêtée en 2016 pour “appartenance à une organisation terroriste”. Un autre membre de la fratrie, Hasim, condamné à vingt et un ans de prison, est incarcéré l’année suivante.

Hausse de la torture en prison

La pratique de la torture et des mauvais traitements dans les prisons turques, qui s’était considérablement réduite dans les années 2000, est en forte hausse depuis les années 2015-2016, marquées par la reprise des violences entre l’État et la guérilla kurde en 2015 et la tentative de putsch du 16 juillet 2016.

Selon le dernier rapport de la Fondation turque pour les droits de l’homme (TIHV), 4 543 personnes ont saisi l’organisation pour des cas de torture ou de mauvais traitements, dont 748 au cours des neuf premiers mois de l’année 2021. Les personnes natives des zones majoritairement kurdes sont particulièrement concernées et représentent 62,6 % des plaintes selon l’association, citée par la version en turc de la Deutsche Welle.

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