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TRT Français, le 28/07/2021
(étude)
par Öznur Küçüker Sirene
Le coup d’Etat constitutionnel commis par le président tunisien sert en réalité les intérêts des puissances étrangères et non ceux du peuple tunisien qui voit leur pays sombrer dans la dictature.
Considérée comme le « berceau des printemps arabes », la Tunisie fait cette fois-ci la une de tous les journaux du monde avec la nouvelle d’« un coup d’état constitutionnel ».
Au cours d’une réunion d’urgence avec de hauts responsables militaires et sécuritaires, le chef de l’Etat tunisien, Kaïs Saïed, a annoncé, durant la soirée du dimanche 25 juillet -Fête de la République Tunisienne-, avoir limogé son Premier ministre et suspendu le Parlement en invoquant l’article 80 de la Constitution. Il a déclaré qu’il assumera le pouvoir exécutif, avec l’aide d’un chef du gouvernement qu’il nommerait prochainement.
La Tunisie traverse depuis un certain temps une crise avec le niveau d’endettement qui bat des records, des difficultés économiques qui ne cessent de s’aggraver et surtout une situation sanitaire préoccupante avec une violente vague de Covid-19. Pour une partie du peuple, les politiques ont été inefficaces à trouver des solutions de sortie de crise en devenant eux-mêmes « la source des crises ».
L’obtention des pleins pouvoirs (le législatif, l’exécutif et le judiciaire) par le président en prétextant les problèmes économiques et sanitaires dans le pays a été -paradoxalement- positivement accueillie par une partie du peuple. C’était l’euphorie dans plusieurs villes tunisiennes avec des foules sorties applaudir le président malgré le couvre-feu et le confinement obligatoire.
Or pour le journaliste tunisien Nizar Bahlolul, quelles qu’en soient les raisons, « applaudir Kaïs Saïed pour ce qu’il a fait revient à applaudir la fin de la démocratie et la renaissance de la dictature ».
La Turquie souhaite « le retour à la légitimité démocratique en Tunisie »
La Tunisie avait la particularité d’être l’un des rares pays arabes ayant réussi à effectuer une transition démocratique après des révolutions populaires ayant renversé les régimes au pouvoir comme en Egypte, en Libye et au Yémen. Aujourd’hui sa situation reste particulièrement préoccupante avec un président qui a plongé le pays entier dans l’inconnu. Le régime d’exception imposé par le président Saïed traduit ​la fin du dernier espoir démocratique dans le monde arabe.
Dans un communiqué diffusé par le ministère turc des Affaires étrangères, « nous souhaitons le retour à la légitimité démocratique en Tunisie, le plus rapidement possible, selon les dispositions de la Constitution tunisienne », lit-on. « Nous sommes certains que le peuple tunisien qui a franchi nombreuses étapes vers la démocratie avec succès, surmontera ce défi aussi », ajoute le communiqué.
Au-delà des raisons économiques et sanitaires qui ont été avancées par le président comme les « raisons » de sa démarche, on peut aussi observer les signes d’une « ingérence étrangère » dans les événements.
Le spécialiste du Moyen-Orient Marc Owen Jones a effectué un travail de recherche sur Twitter en analysant environ 12000 tweets provenant de 6800 comptes uniques afin de savoir d’où la tendance arabe « les Tunisiens se révoltent contre les Frères musulmans » était diffusée. Il a constaté en résumé que cette tendance était une propagande dirigée par des influenceurs saoudiens et émiratis et promue par des utilisateurs en Arabie saoudite, en Égypte et aux Émirats arabes unis.
Avant le coup d’Etat en Tunisie, plusieurs sites d’information tunisiens pointaient du doigt la proximité d’Ennahdha avec le gouvernement turc. Dans un long article publié le 27 octobre 2019 sur le site Kapitalis, Yassine Essid dénonçait « le retour d’Ennahdha au pouvoir » en faisant le parallèle entre la Tunisie de Ghannouchi, la Turquie d’Erdoğan et le Qatar de l’émir Bin Hamad.
Ce n’est un secret pour personne que le président de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) et chef du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, entretient de bonnes relations avec la Turquie. Environ 2 semaines avant le coup d’Etat lancé par le président tunisien dans le pays, Ghannouchi avait reçu l’ambassadeur de Turquie. Les deux parties avaient abordé plusieurs questions dont la lutte contre la pandémie du coronavirus et le renforcement des échanges commerciaux entre la Turquie et la Tunisie.
Une autre certitude c’est que des pays adversaires tels que les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, l’Egypte mais aussi la France ne voient pas d’un bon œil la proximité du parti Ennahdha avec la Turquie qui accroit de plus en plus son influence en Afrique du Nord. La position frontalière de la Tunisie avec la Libye rend le pays d’autant plus stratégique. Il est évident que la présence militaire et l’augmentation de l’influence de la Turquie en Libye inquiètent les forces étrangères qui ont des intérêts dans la région.
Le président français Emmanuel Macron avait de maintes fois exprimé son mécontentement quant à la présence turque en Libye. Il avait même exigé le « retrait des troupes turques de Libye » comme preuve de normalisation des relations de la Turquie avec les Européens.
Aujourd’hui, le « coup d’Etat » en Tunisie peut être interprété comme « d’une pierre, deux coups » pour les pays en question : En soutenant le président tunisien devenu l’homme fort du pays, ces pays peuvent écarter du pouvoir le parti Ennahdha traité d’« islamo-conservateur » par ces pays tout en influençant les positions de la Tunisie dans le dossier libyen afin de contrecarrer la Turquie.
En conclusion, même si une partie du peuple applaudit en ce moment la fin de la démocratie dans le pays, ce n’est jamais bon pour aucun pays du monde de céder à la dictature. Le peuple turc avait héroïquement résisté à la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016 visant à renverser le pouvoir. Le peuple tunisien devrait aussi à tout prix conserver la démocratie du pays et attendre les prochaines élections s’il souhaite un changement.
Tout laisse à penser que les événements qui se déroulent en ce moment en Tunisie ne sont pas le fruit du hasard et la volonté de briser l’influence turque dans la région y joue un rôle important. Les réactions du peuple tunisien afin de préserver ou non la démocratie du pays dans les prochains jours seront déterminants pour savoir ce que l’avenir réserve pour la Tunisie mais aussi des pays frères comme la Turquie.
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