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Le Monde, le 18/06/2021
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Le HDP est la bête noire de la coalition nationalo-islamiste dirigée par le président Erdogan.
Un homme armé a attaqué jeudi 17 juin une permanence du parti démocratique des peuples (HDP, gauche prokurde) à Izmir dans l’ouest de la Turquie, tuant une jeune militante. Deniz Poyraz, la trentaine, militante du HDP, travaillait comme volontaire dans le local du parti à Izmir où elle servait le thé.
Jeudi matin, elle était la seule personne présente sur place lorsque trois assaillants ont pris d’assaut la permanence du local, où une réunion devait se tenir entre militants. Deux des agresseurs ont réussi à s’enfuir. Le troisième, Onur Gencer, a tué la jeune femme par balles après quoi il a tenté d’incendier le local.
Arrêté par la police, l’homme a justifié son acte par sa « détestation du PKK », le Parti des travailleurs du Kurdistan, la bête noire des autorités turques depuis près de quarante ans. Deuxième parti d’opposition du parlement turc, le HDP est accusé d’être une menace à la sécurité nationale ainsi que la « vitrine politique » du PKK par le gouvernement qui tente de le faire interdire pour « activités terroristes ».
Alors que six à sept millions de personnes votent en faveur du HDP à chaque élection, ses députés, ses maires, ses militants sont régulièrement arrêtés, jugés et emprisonnés. Son chef de file, Selahattin Demirtas, est en prison depuis 2016 en dépit des demandes de libération adressées à Ankara par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui juge sa détention illégale.
Violemment pris pour cible par la coalition nationalo-islamiste au pouvoir, le HDP est confronté au discours de haine des plus hauts responsables politiques. Chaque année, un peu partout dans le pays, ses locaux sont attaqués, mis à sac, incendiés, et ses militants sont rossés, dans l’indifférence générale. « Cela fait des mois que notre local est pris pour cible, nous l’avons signalé à la police, nous avons dit que cela se finirait mal mais aucune mesure de protection n’a été prise. Malheureusement nos craintes se sont avérées justes », a expliqué à la presse Mahfuz Güleryüz, membre du comité central du HDP.
« Cette attaque était prévisible »
De fait, la police avait établi, il y a un mois environ, un cordon de sécurité autour du bâtiment où se trouve le local du HDP à Izmir. Officiellement, il n’était pas question de protéger les militants prokurdes mais de les empêcher de « recruter des volontaires au service de la guérilla du PKK dans les montagnes », selon l’argument des autorités. Cette présence policière n’a pas empêché les agresseurs de pénétrer dans le bâtiment.
Selon Mithat Sancar, le coprésident du HDP, « le gouvernement dans son ensemble est responsable de cette attaque car il se sert du discours de haine et de polarisation pour provoquer des conflits… Il est responsable de ce meurtre… et des massacres qui seront commis à l’avenir ».
« Cette attaque était prévisible. Depuis pas mal de temps maintenant, les membres du HDP sont pris pour cible de manière systématique par le pouvoir », s’est insurgé Sezgin Tanrikulu, député du Parti républicain du peuple (CHP, opposition), dans une vidéo postée sur son compte Twitter.
Alors que les autorités tentent de présenter l’attaque comme l’acte solitaire d’un déséquilibré, les responsables du HDP estiment, pour leur part, qu’il s’agit d’une provocation bien rôdée. Une réunion devait se tenir dans le local du parti à Izmir à l’heure où les assaillants ont pénétré dans le bâtiment, sans savoir que l’événement venait tout juste d’être reporté.
Dans l’armée turque en Syrie
Le profil de l’assassin a été étudié de près par le HDP. Sur son compte Instagram, Onur Gencer, 27 ans, menace de « faire cracher le sang » des « graines d’Arméniens » tandis qu’il prend la pose avec des armes dernier cri en faisant le signe des Loups gris, l’organisation de jeunesse du Parti de l’action nationaliste (MHP, extrême droite), le partenaire de coalition du Parti de la justice et du développement (AKP) du président turc, Recep Tayyip Erdogan.
D’après les photos exhibées sur ses comptes, l’homme a combattu pour le compte de l’armée turque en Syrie, notamment dans la région de Manbij où il était aux côtés de l’Armée syrienne libre, les rebelles syriens soutenus et formés militairement par la Turquie. D’après Hüda Kaya, députée du HDP pour Istanbul, il a été entraîné par Sadat, la société paramilitaire privée chargée notamment de la formation des mercenaires syriens utilisés par la Turquie sur différents théâtres d’opération (Syrie, Libye, Haut-Karabakh). Puissante et opaque, Sadat est dirigée par le général Adnan Tanriverdi, un ancien conseiller militaire du président Erdogan.
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