Dans la foule d’acteurs internationaux qui se pressent aux portes de Mossoul, l’Iran est une puissance discrète mais influente. La principale puissance étrangère en Irak, très écoutée des partis chiites qui dominent Bagdad, s’est peu exprimée depuis le début de la reconquête du bastion de l’organisation Etat islamique (EI) dans le nord du pays. Cependant, elle fait montre d’une frustration grandissante.
En cause : les prétentions de la Turquie à participer à la bataille. « Ankara a affirmé que Mossoul appartenait historiquement à la Turquie. Sans concertation avec le gouvernement irakien, elle maintient ses troupes dans la province : c’est l’exemple même d’une ingérence, au mépris du droit international. Et cela ne peut que créer de l’instabilité », note Alaeddin Boroujerdi, président de la commission des affaires étrangères du Parlement iranien, rencontré par Le Monde lundi 24 octobre, à Paris.
Le même jour, le président Hassan Rohani avait jugé « très dangereuse » la présence d’un contingent de l’armée turque dans le secteur de Bachika, malgré le souhait exprimé par Bagdad de le voir partir. La Turquie entraîne depuis des mois des peshmergas kurdes et un groupe armé sunnite rassemblé autour de l’ancien gouverneur de la province de Ninive, Atheel Nujaifi, contre lequel un tribunal irakien a récemment émis un mandat d’arrêt pour espionnage. Lundi, Ankara, qui se présente en défenseur des sunnites de la région, a affirmé avoir tué dix-sept djihadistes par des tirs d’artillerie et de mortiers depuis le début de l’offensive, il y a une semaine.
Cette implication turque a suscité la colère des principaux chefs de milices chiites irakiennes, en partie financées et armées par l’Iran, et auprès desquelles Téhéran déploie de nombreux conseillers militaires, à l’invitation du gouvernement de Bagdad. Selon un plan de bataille laborieusement négocié entre les différentes forces irakiennes, ces milices auraient dû se tenir à l’écart de la bataille de Mossoul, tout comme les forces de la police fédérale, qui leur sont liées, analyse un diplomate occidental. La police participe finalement à l’offensive, sur le front sud, et les milices ont obtenu un objectif secondaire : montant vers Mossoul en deuxième ligne, elles doivent bifurquer avant d’atteindre la ville vers les localités de Hawija, au sud, et de Tal Afar, au nord-ouest, deux bastions djihadistes.
Hawija, qui comptait 115 000 habitants au début de l’offensive, a servi de base arrière aux attaques de l’EI durant deux ans. Tal Afar a donné au groupe un nombre important de ses cadres et fut un creuset de l’insurrection djihadiste avant la prise de Mossoul, en juin 2014. Sa population chiite a fui ou a subi les exactions de l’EI lorsque l’organisation s’est rendue maîtresse de la région.  » On s’attend à ce que tous les habitants – de Hawija – fuient à l’approche des milices, qui ne les protégeront pas. Les miliciens s’en moquent : ce sont des sunnites qui ont soutenu ouvertement Daech – acronyme arabe de l’EI – , ils les haïssent « , annonce le diplomate occidental. Ankara s’est alarmé du sort de Tal Afar, enclave turkmène dans une région majoritairement arabe.
Les milices chiites s’étaient rendues coupables d’exactions contre des déplacés sunnites lors de la prise de Fallouja, dans la province occidentale de l’Anbar, en juin. A Mossoul, le risque d’attiser le ressentiment des sunnites incite Bagdad à tenir ces forces à l’écart.  » C’est très sage, juge M. Boroujerdi. La majorité de la population y est sunnite, il ne faut pas y accroître les tensions sans raison, ni alimenter la propagande contre la Mobilisation populaire « , l’organisme qui rassemble les milices et volontaires chiites. Cependant, face à une forte résistance de l’EI, ces supplétifs endurcis pourraient être appelés en renfort.
Le premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, souhaite imposer, après la bataille, une autorité locale, acceptable et crédible auprès de la population sunnite, seule garantie pour que l’insurrection djihadiste ne prospère pas sur les cendres du  » califat  » de l’EI. Les milices chiites ont fait savoir qu’elles refuseraient le protégé de la Turquie, Atheel Nujaifi. M. Abadi s’efforce d’écarter un tel conflit.
Maintenir la stabilité à Bagdad
Il s’oppose à l’ancien premier -ministre, Nouri Al-Maliki, qui se présente, dans sa marche pour revenir au pouvoir, en -critique acerbe de la présence turque et en défenseur des milices -chiites, parmi lesquelles il compte des -alliés. Il n’est pas acquis que cette démarche ait les faveurs de -Téhéran, qui s’évertue à réduire les -divisions entre partis chiites, et à maintenir à Bagdad une -relative stabilité. M. Abadi a beau être jugé en bout de course par de nombreux observateurs,  » il -dirige encore les combats contre Daech, note Alaeddin Boroujerdi. Je doute qu’il quitte le terrain si -facilement.  »
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