Editorial du « Monde »
Le triple attentat-suicide commis le 28 juin par des djihadistes à l’aéroport d’Istanbul le rappelle tragiquement : la Turquie, atteinte par les métastases du conflit syrien, constitue aujourd’hui une cible centrale pour le terrorisme djihadiste. Elle est devenue un pays de première ligne. Cela explique pourquoi Recep Tayyip Erdogan tente de sortir de l’isolement diplomatique où il a enfermé son pays.
Ainsi, le président turc s’efforce de renouer avec Israël, qui fut longtemps un allié majeur. Il entend mettre un terme à six ans d’une profonde crise diplomatique provoquée par l’assaut des commandos israéliens contre une flottille humanitaire affrétée par des ONG islamistes, proches du pouvoir turc, qui voulait forcer le blocus de Gaza. De même, M. Erdogan a tendu la main à la Russie de Vladimir Poutine en présentant ses  » regrets  » – Moscou parle d' » excuses  » – pour la destruction, fin 2015, d’un bombardier russe qui avait violé l’espace aérien turc près de la frontière syrienne. Ankara amorce également une réconciliation avec l’homme fort du Caire, le général Al-Sissi, longtemps dénoncé comme un putschiste pour avoir renversé le président élu, Mohamed Morsi.
Il faudra d’avantage d’efforts, cependant, pour effacer le fiasco de la diplomatie turque. Le contraste est en effet saisissant avec l’image qu’avait cette même Turquie d’Erdogan il y a encore cinq ans : celle d’un acteur majeur sur la scène régionale et un  » modèle  » combinant islam, démocratie et dynamisme économique, susceptible d’inspirer les nouveaux pouvoirs nés des  » printemps arabes « . Longtemps conseiller, puis ministre des affaires étrangères et enfin premier ministre avant de tomber en disgrâce il y a trois mois, Ahmed Davutoglu avait été l’incarnation d’une politique étrangère  » néo-ottomane « . L’ambition était de n’avoir aucun problème avec ses voisins. Le résultat a été exactement l’inverse.
Mais le véritable responsable de cet échec est l’homme fort d’Ankara : la politique étrangère de M. Erdogan s’est trouvée prisonnière de sa politique intérieure, de plus en plus islamiste et autoritaire, comme de la mégalomanie de celui que ses adversaires surnomment  » le nouveau sultan « . Révélateur, à cet égard, est le cas de la Syrie, où les autorités turques se sont engagées à fond pour renverser Bachar Al-Assad, ont soutenu la rébellion par tous les moyens et ont longtemps fermé les yeux sur les flots d’armes et de volontaires qui traversaient la Turquie pour rejoindre les groupes djihadistes, dont l’organisation Etat Islamique (EI). Il aura fallu les sanglants attentats de ces derniers mois pour qu’Ankara s’engage fermement contre l’EI.
Forte de sa situation géostratégique, pilier du flanc sud-est de l’OTAN, la Turquie tente désormais de récupérer le terrain perdu et de resserrer ses liens avec ses alliés. C’est notamment le cas avec l’Union européenne. Ce rapprochement est facilité par le fait que Bruxelles et Berlin misent sur Ankara pour bloquer le flux des réfugiés qui frappent aux portes de l’Europe.
Mais ce n’est pas une raison pour fermer les yeux sur la politique de M. Erdogan, totalement antagoniste avec les valeurs de l’Union européenne, comme en témoignent les atteintes à la liberté de la presse ou la répression croissante des mouvements kurdes. Au contraire, parce que la Turquie a besoin de l’Europe, celle-ci doit rappeler clairement à Ankara la nécessité du respect de l’Etat de droit et l’urgence des réformes à mener.
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