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Slate.fr, le 06/05/2022
Pierre Polard — Édité par Léa Polverini — 6 mai 2022 à 8h03
Ils se sont massivement réfugiés en Turquie au cours des siècles. L’annexion de la Crimée en 2014 et l’invasion russe de 2022 ont amplifié un exil qui n’avait jamais cessé.
À Ankara et Eskişehir (Turquie).
Les Tatars de Crimée n’ont plus que l’horizon. Ils prient en direction du sud, et regardent le nord pour se souvenir. Depuis la Turquie où ils se sont réfugiés, La Mecque et Sébastopol sont les deux directions vers lesquelles ils se tournent encore.
Les Tatars de Crimée parlent un dialecte turc, et sont musulmans. Ils sont surtout les premiers habitants d’une terre que la Russie a toujours convoitée. Suffisamment de raisons, donc, pour que la Russie les persécute des siècles durant. Cette persécution a souvent causé l’exil, principalement en Turquie –au point que des millions de Turcs auraient aujourd’hui une ascendance criméenne.
Il faut dire que la Crimée saigne ses Tatars depuis longtemps. Les premiers d’entre eux à s’exiler en Turquie sont arrivés en 1783, à la suite de l’annexion de la Crimée par la tsarine Catherine. Les derniers arrivés sont là depuis quelques semaines, voire quelques jours. L’invasion russe de l’Ukraine a amplifié un exil qui n’a jamais tari en 300 ans. Si les Tatars n’ont pas été exilés en Turquie au même moment, leur origine reste la même: cette Crimée qu’ils n’en finissent jamais de perdre.
La terre perdue
Sevilia est une Tatare de bientôt 40 ans. Elle fait partie de l’armée ukrainienne mais, enceinte, elle a dû fuir en Turquie. Malgré la guerre qui fait rage et son exil imposé, elle sourit. Des guirlandes aux couleurs de l’Ukraine et de la Crimée sont accrochées aux murs de sa chambre. Sevilia vient tout juste d’accoucher et elle célèbre aujourd’hui la naissance de sa troisième fille. Un homme manque cependant à la fête: son mari, resté combattre de l’autre côté de la mer Noire, en Ukraine. Sevilia lui passe un appel vidéo. L’émotion le prend et il rit sans plus pouvoir s’arrêter. Sur le champ de bataille, au milieu de ses camarades en armes, un père voit sa fille pour la première fois.
Des séparations forcées de la sorte ne sont pas une anomalie dans l’histoire familiale de Sevilia, et encore moins dans l’histoire tatare. En 1944, prétextant une collaboration avec l’envahisseur nazi, Staline fait déporter l’intégralité des 190.000 Tatars de Crimée. Parmi eux: les parents de Sevilia. Après un trajet qui fait près de 10.000 morts, les Tatars finissent à des milliers de kilomètres de leur terre ancestrale, dans des camps misérables en Asie centrale, principalement en Ouzbékistan.
Si le territoire est hostile, les populations locales le sont encore plus, excitées par les autorités soviétiques qui sèment la division par la désinformation. La famine et les maladies font des ravages: 46% des 190.000 déportés initiaux meurent dans les premières années. La reconnaissance de ces souffrances est devenue un enjeu géopolitique: en 2019, l’Ukraine et la Lettonie qualifiaient cette déportation de «génocide».
Un monument érigé en hommage aux victimes de la déportation de 1944, à Eskişehir, en Turquie. Le 25 avril 2022. | Pierre Polard
Sevilia naît dans l’un de ces camps ouzbeks, dans les années 1980. Dès la mort de Staline, l’URSS se libéralise et les minorités déportées obtiennent un droit de retour. Néanmoins les Tatars ne peuvent revenir qu’au compte-gouttes. Il faut attendre 1991 et la chute de l’URSS pour qu’ils puissent réellement retourner dans une Crimée maintenant ukrainienne.
L’Ukraine, nouvellement indépendante, leur octroie des droits spécifiques et une assemblée régionale, le Majlis. Les Tatars reviennent aussitôt en nombre chez eux: ils passent de 5.422 individus en 1979 (0,2% de la Crimée) à 277.336 en 2014 (12,6%). Mais l’accalmie n’est qu’une parenthèse. Pendant l’absence des Tatars, les Russes se sont installés massivement dans la péninsule et en constituent désormais la majorité écrasante (65% en 2014).
Le désastre reprend le 11 mars 2014: la Crimée est annexée par la Russie après un référendum que les Tatars et les Ukrainiens de Crimée boycottent. Sevilia fuit aussitôt la Crimée pour Kiev. Le 24 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine. Sevilia fuit maintenant Kiev pour la Turquie. Les naissances dans la famille de Sevilia disent tout de l’exil interminable des Tatars: Sevilia est née en Ouzbékistan, sa première fille est née en Crimée, sa deuxième à Kiev et sa troisième en Turquie. Dans une famille tatare, l’arbre généalogique est déraciné. L’exil se transmet en héritage.
La persécution des Tatars
«À chaque siècle notre grande catastrophe», lance avec laconisme Anife Kurseitova. L’histoire de Sevilia est aussi la sienne. Anife regarde autour d’elle pour voir si les autres clients du restaurant l’épient. Elle se recoiffe ensuite, à la mèche près. Anife est aussi élégante que méfiante. Ses yeux parfaitement maquillés scrutent chaque entrée dans le restaurant. Elle reprend son histoire. Comme Sevilia, donc, Anife a quitté la Crimée après l’annexion russe de 2014.
Réfugiée à Kiev jusqu’à l’invasion russe de 2022, elle a créé l’association Famille criméenne. «Nous n’avons plus la Crimée mais nous avons encore notre culture, notre langue, nos traditions… Il faut les préserver», dit-elle en russe. Elle parle de ces manuels sur l’histoire de la Crimée qu’elle a coécrits, mais un inconnu passe devant elle. Sa voix s’abaisse. La peur fait désormais aussi partie des traditions tatares.
Anife dit pourtant moins craindre pour elle-même que pour les Tatars restés en Crimée: «Depuis 2014, des Tatars disparaissent. On les retrouve emprisonnés ou morts. Ou pire: on ne les retrouve pas du tout.» Ces disparitions sont aussi rapportées par un rapport du Conseil de l’Europe daté du 16 avril 2021. Outre les «homicides, disparitions forcées, actes de torture», ce rapport pointe une répression de la «vie politique […] des Tatars de Crimée».
Dès 2014, les principaux leaders tatars sont interdits d’entrée en Crimée. En 2016, l’Assemblée des Tatars de Crimée, le Majlis, est déclarée organisation terroriste par le parquet russe. La répression est également culturelle. Ainsi, toujours selon le rapport: «Seuls 3% des élèves appartenant à cette minorité suivent un enseignement en tatar de Crimée.»
Anife résume brutalement: «Les Russes rêvent de faire disparaître les Tatars. La Crimée est trop importante pour eux, c’est la principale base militaire de la mer Noire. Mais pour nous, c’est notre terre natale!» La guerre a encore plus accentué la répression. Le comble de l’horreur pour Anife, c’est que maintenant, «des jeunes hommes tatars sont enrôlés de force dans l’armée russe. Ils se battent contre leurs frères ukrainiens.»
Quand on lui fait remarquer que certains de ces enrôlements peuvent être volontaires et que quelques Tatars ont pu être retournés par la propagande de Poutine, Anife admet douloureusement: «Les Tatars de Crimée qui ne sont plus en Crimée ne croient pas les mensonges russes. Mais là-bas… Les Russes contrôlent tout. La résistance est impossible.»
À la fin de la conversation, un échange d’Anife avec son amie Liudmila est révélateur du sort actuel des Tatars de Crimée. Liudmila est ukrainienne et travaille dans un lycée de Kiev. Elle s’apprête à rentrer chez elle: «Les enfants n’aiment pas le bruit des alarmes incessantes, mais il faut bien préparer le programme de l’année scolaire à venir…» Ce retour à la vie normale, ou au moins à sa terre, est impossible pour Anife. Les Russes ont échoué à conquérir toute l’Ukraine, ils peuvent encore faillir dans le Donbass, mais la Crimée reste fermement entre les mains de Poutine.
Les scénarios les plus optimistes des analystes évoquent rarement un retrait russe de Crimée. Même Alexeï Navalny, que les médias occidentaux ont présenté comme le principal opposant à Poutine, a déclaré qu’il ne rendrait pas la Crimée à l’Ukraine s’il accédait au pouvoir. Anife ne perd pourtant pas espoir: «Je suis née dans un camp en Ouzbékistan et j’avais 6 ans à mon arrivée en Crimée. On finira toujours par revenir.»
Les gardiens de la mémoire
Certains Tatars de Crimée ne sont pourtant jamais revenus. Si Eskişehir est une ville moyenne de l’Anatolie occidentale, elle est aussi la capitale officieuse des ces Tatars qui ont transformé un exil en une présence durable. Près de la moitié de la ville serait d’origine tatare. Un monument dédié à la déportation de 1944 a été érigé non loin du «boulevard de Crimée». Et en périphérie de la ville, des villages entièrement peuplés de Tatars parlent leur dialecte plutôt que le turc. La plupart des Tatars de Crimée sont arrivés ici bien avant la guerre en Ukraine. Pour certains, cela fait même plusieurs siècles. L’exil est un vertige.
«Mes ancêtres ont commencé à arriver en 1856, lors de la guerre de Crimée. Déjà en ce temps la Russie affrontait la France, l’Angleterre et la Turquie», raconte Ferruh. Il couvre son journal de dates: sur trois siècles, tous les exils de ses ancêtres. Ferruh a 80 ans et certains le présentent comme «la mémoire vivante des Tatars de Crimée». En apparence, pourtant, il semble être un retraité turc comme un autre: pin’s Atatürk sur le veston, il fait tranquillement ses mots croisés en sirotant un thé.
«Je suis allé en Crimée dix-sept fois! La dernière, c’était pour ramener une fiancée à mon neveu, se souvient-il. Par contre je ne dis pas “Tatar”, mais “Turc de Crimée”. Nous sommes des Turcs avant tout.» Dans le café qui sert de siège à une association culturelle, l’emblème des «Turcs de Crimée» s’entremêle aux habituels symboles turcs –portrait d’Atatürk et drapeau.
L’identité tatare semble toujours indissociable de celle de son protecteur, qu’il s’agisse de l’Ukraine ou de la Turquie. La position de la Turquie reste néanmoins ambivalente. Quand on contacte Ankara pour déterminer le nombre de réfugiés accueillis depuis le début de la guerre, la méfiance est absolue. Un fonctionnaire finira par briser le silence: «Des milliers et toujours plus… Mais personne ne peut leur parler. Et encore moins en parler. Ils sont placés sous étroite surveillance.»
La Turquie ne souhaite pas devenir une base arrière de la contestation tatare, et semble surtout ne pas vouloir exposer ses réfugiés tatars à une attaque des services secrets russes qui la forcerait à tendre ses relations avec la Russie. L’internationale turque musulmane que rêve Erdoğan reste soumise aux intérêts nationaux de la Turquie. La realpolitik prime. Comme avec les Ouïghours (eux aussi Turcs musulmans) et la Chine, la Turquie ne veut pas trop s’aliéner une puissance majeure. Et surtout voisine.
De retour à Eskişehir, Ferruh confirme la difficulté d’accéder aux nouveaux réfugiés tatars: «Même moi je n’ai pas pu les voir…» Ferruh s’est pourtant engagé pour la cause. «En 1993, avec des amis, nous avons créé un journal en Crimée et en Turquie: Kirim Sedasi, “Crier à la Crimée”. Dans ce journal, une rubrique était dédiée à tous les Turcs de Crimée qui voulaient retrouver des proches disparus pendant tous les exils, forcés ou non. En quelques jours, nous avons été submergés par des gens de part et d’autre de la mer Noire. Ils souhaitaient tous retrouver les leurs.»
Kirim Sedasi n’existe plus aujourd’hui, bien que la Crimée en ait plus que jamais besoin: «Les disparitions ont repris. Des jeunes hommes surtout.» Ferruh marque un temps d’arrêt, son regard se porte au loin. Il finit par dire, calmement: «Moi, je pourrais crier leurs noms.»
Ferruh présente ses amis, tous d’un certain âge. Ils sont autant de «mémoires vivantes» des Tatars. L’un d’entre eux chante une lamentation criméenne. Un autre s’interroge sur la survie de cette mémoire: «Les jeunes ne veulent plus apprendre le turc criméen, ils ne parlent que le turc.» Ferruh se montre néanmoins optimiste pour la guerre: «Poutine avait donné des maisons en Crimée aux Russes, pour qu’ils viennent coloniser. Mais depuis le début de la guerre, beaucoup sont repartis en Russie. Ils ont eu peur.» Ferruh rit un peu, puis redevient grave: «À la fin de la guerre, il faudra aller en Crimée aider les Turcs. Mais pas seulement eux. Il faudra aider aussi les Ukrainiens.»
La fin de la guerre ne voudra pas forcément dire la libération de la Crimée. Tous les Tatars en ont conscience. Au mur, entre un portait d’Atatürk et une carte tatare de la Crimée, est affiché l’hymne des Tatars de Crimée: «Ant etkenmen» («J’ai juré»). Un vieux Tatar en récite quelques vers, sans avoir à les lire, seulement par cœur:
J’ai promis de guérir les blessures de la nation tatare
Comment se fait-il que mes malheureux frères pourrissent? […]
Quand je vois cela, si je ne suis pas affligé, blessé, brûlé
Que les larmes qui coulent de mes yeux deviennent une mer de sang.
Une jeune réfugiée tatare récemment arrivée d’Ukraine avait donné son interprétation de «Ant etkenmen» à condition de rester anonyme: «Cet hymne est toujours aussi actuel. Mais je ne crois plus en les mots. Je ne crois plus en la diplomatie… La libération de la Crimée se fera par l’Ukraine. La libération se fera surtout par les armes.»
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