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Le Monde, le 24/03/2018
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
Un milliardaire proche du président Erdogan a mis la main sur Dogan Holding, le plus gros groupe d’information du pays.
Avide de contrôler la totalité du paysage médiatique à dix-huit mois des élections de novembre 2019 – législatives et présidentielle –, le gouvernement turc (islamo-conservateur) vient de jeter son dévolu sur Dogan Holding, le plus gros groupe de médias de Turquie. Ce dernier vient en effet d’être racheté par le milliardaire Erdogan Demirören, un proche du président Recep Tayyip Erdogan.
Désormais, « 90 % des médias [du pays] sont entre les mains de l’exécutif », constate la journaliste Aysenur Arslan, une ancienne collaboratrice de Dogan Holding.
Après des négociations discrètes, le groupe Demirören, présent dans l’énergie, la construction, le tourisme, a acquis pour 1,1 milliard de dollars (890 millions d’euros) les quotidiens Hürriyet, Posta, Fanatik, ainsi que l’agence de presse Dogan et les chaînes de télévision Kanal D et CNN-Türk. Selon le site d’information T24, pour finaliser son acquisition, la holding de M. Demirören a bénéficié d’un crédit venu d’un consortium bancaire, dont l’établissement public Ziraat Bank.
Dans le viseur des autorités
Après avoir dominé la scène médiatique turque pendant quarante ans, le milliardaire Aydin Dogan, fondateur du groupe du même nom, a tiré sa révérence, jeudi 22 mars. « J’ai 81 ans. A ce stade, j’ai décidé, de mon propre chef, de cesser mes activités dans les médias », a-t-il déclaré lors d’un discours d’adieu à ses salariés. En insistant sur le caractère volontaire de la cession, le magnat comptait visiblement faire taire les rumeurs selon lesquelles il aurait finalement cédé ses actifs sous la pression du gouvernement.
« S’il ne vendait pas la branche médias de son groupe, il risquait d’être emprisonné dans le cadre d’une enquête sur les événements du 28 février [le 28 février 1997, les militaires avaient évincé le gouvernement dirigé alors par l’islamiste Necmettin Erbakan]. On lui a montré le bâton, il a compris le message », a assuré un peu plus tôt, jeudi, Aysenur Arslan sur la chaîne de télévision Halk TV.
Longtemps dominant en termes d’influence et de parts de marché, le groupe Dogan s’est retrouvé dans le viseur des autorités en 2009, quand il a dû s’acquitter d’une amende de 3,3 milliards de dollars pour des taxes impayées. Ses ennuis avaient commencé juste après la publication par le quotidien Referans, par la suite fermé, d’une enquête sur le népotisme en vigueur au sein du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur). Endetté, en butte aux pressions, Dogan Holding a dû par la suite céder à  Demirören, en 2011, deux de ses quotidiens (Milliyet et Vatan) pour 74 millions de dollars.
La fin du pluralisme d’opinions
Las des prises de bec avec les autorités, Aydin Dogan a fini par jeter l’éponge. Ses relations avec le président turc étaient compliquées. Aux yeux des islamo-conservateurs, lui et son groupe symbolisent « la vieille Turquie », dont l’élite laïque et pro-occidentale fut aux affaires depuis l’avènement de la République, en 1923, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de M. Erdogan, en 2003. « La presse soutenue depuis deux siècles par l’Allemagne, c’est fini. Place à la nationalisation », s’est aussitôt félicité Yigit Bulut, l’un des conseillers du Palais, à l’annonce de la cession.
Pour les Turcs libéraux, c’est la fin du pluralisme d’opinions. D’autant que, dans le même temps, un nouveau tour de vis annonce une plus large censure sur Internet. Mercredi, le Parlement a adopté une loi qui oblige les organisations diffusant des contenus audiovisuels en ligne à obtenir une licence auprès du Haut Conseil de la radio et de la télévision (RTÜK), qui pourra dorénavant les interdire.
Depuis le coup d’Etat raté de juillet 2016, une répression drastique s’est abattue sur la société turque. Près de 150 médias ont été fermés, environ 160 000 personnes ont été arrêtées et 152 000 fonctionnaires ont été limogés. Des milliers d’internautes sont par ailleurs actuellement poursuivis pour « insulte au président » tandis que plusieurs journalistes des médias d’opposition – Cumhuriyet, Sozcu, OdaTV, Evrensel, Birgun – ont été emprisonnés ou attendent leurs procès. Lancé depuis Londres à la fin de 2017, le site d’information Ahval n’est pour sa part plus accessible en Turquie depuis le début du mois de mars et voici plus d’un an que la consultation de l’encyclopédie en ligne Wikipédia n’est plus possible dans aucune langue.
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