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France 24, 16/09/2018
Texte par Liselotte MAS
Le président turc a annoncé vendredi ne pas envisager « de nouveaux investissements » sur les grands projets de construction qui sont sa marque de fabrique. La crise économique risque de ralentir voire d’annuler certains de ces méga chantiers.
Erdogan le bâtisseur va devoir revoir ses ambitions à la baisse. Marque de fabrique des mandats successifs du président turc, la construction effrénée d’infrastructures est menacée par la crise économique qui frappe le pays.
« Nous n’envisageons pas de nouveaux investissements », a-t-il lui-même concédé vendredi 14 septembre, tout en précisant que les projets construits à 70 % seront terminés. Une décision actant le retour d’une certaine « discipline budgétaire ».
« Si le gouvernement annule ou au moins reporte certains de ces « méga projets », la pression sur les banques turques [qui les financent en partie, NDLR] sera réduite. Le gouvernement doit faire des économies pour que la situation s’améliore, d’autant que le secteur de la construction est dans une situation très délicate », analyse Ali Agaoglu, éditorialiste et analyste financier turc interrogé par France 24. Même le FMI a vivement conseillé au gouvernement de faire un « tri strict » parmi les projets de ce type.
Les autorités turques n’ont pas encore précisé quels « méga projets » seraient annulés ou retardés. Les commentateurs politiques et économiques y vont donc de leurs spéculations.
Canal Istanbul maintenu
Un temps, plusieurs éditorialistes ont estimé que le titanesque projet de canal artificiel qui doit relier la mer de Marmara à la mer Noire serait la première victime des mesures d’austérité, parce que jugé trop cher : 15 milliards de dollars avant la dévaluation de la livre turque, soit probablement le double aujourd’hui selon certaines estimations.
Le ministre de l’environnement et de l’urbanisme a finalement fait taire les rumeurs au sujet de ce projet cher au président Erdogan. Il sera maintenu et les travaux commenceront après un appel d’offre ayant pris beaucoup de retard [initialement prévu en 2016], a-t-il déclaré ce samedi 15 septembre. Signe que le gouvernement tient, malgré les déclarations de l’exécutif, à maintenir le plus de méga projets possible.
« Je ne comprends pas très bien pourquoi le gouvernement s’acharne ainsi. Ils veulent continuer à avancer, avancer, mais ça n’est pas durable. Ces projets permettent certes de stimuler la croissance, mais il n’est pas nécessaire d’en construire quatre ou cinq en même temps, d’autant qu’ils ne permettent pas redistribuer les richesses ou de créer du développement », analyse Ali Agaoglu.
Grève au nouvel aéroport
Le troisième aéroport d’Istanbul est appelé à devenir « le plus grand du monde » en 2030 selon les autorités turques. Si la première phase du chantier doit être livrée le 29 octobre pour célébrer le 95ème anniversaire de la République de Turquie, l’avenir du reste du complexe aéroportuaire pourrait être compromis.
Des milliers d’ouvriers mobilisés sur le chantier ont lancé un mouvement de grève le 14 septembre pour dénoncer des conditions de travail « esclavagistes ».
Près de 500 d’entre eux ont été arrêtés par les forces de l’ordre et 10 000 des 15 000 ouvriers ont arrêté le travail selon les sydnicats. Difficile pour l’heure de dire si ce mouvement social viendra reporter l’inauguration.
İGA patronlarına sesleniyoruz: İşçilere işkence yapmaktan vazgeçin, direnişi siz örgütlediniz! #KöleOlmayacağız https://t.co/1dghXZrWXl pic.twitter.com/MdMlXlUnpS
— İnşaat-İş Sendikası (@insaatsendika) 16 septembre 2018
Chantiers arrêtés
D’autres projets semblent ralentis voire réduits, comme le nouveau terminal portuaire de Kabatas à Istanbul et six des huit lignes de métro stambouliotes en cours de construction, selon une enquête menée par The Independent.
Le projet de reconstruction des locaux des renseignements nationaux à Ankara a été mis en suspens et « le gros des travaux de réaménagement de la place Taksim s’est arrêté ces dernières semaines », note le quotidien britannique qui précise que les autorités ne se sont pas exprimées publiquement sur le statut des différents chantiers.
« Tout le monde ici [à Istanbul, NDLR] peut voir que de nombreux chantiers sont arrêtés, comme celui juste en face de mon bureau par exemple », renchérit Ali Agaoglu.
Aux côtés de ces grands projets mis en avant par le gouvernement dans le cadre de son programme de développement Vision 2023, c’est tout le secteur de la construction qui souffre de la crise actuelle.
Le BTP turc « au bord du coma »
Le boom de la construction a fait la prospérité de la Turquie d’aujourd’hui. Les lignes d’horizon des grandes villes se sont parées de gratte-ciels et des milliers d’emplois ont été créés. Mais ce secteur crucial pour l’économie est « malade, au bord du coma », estime Tahir Tellioglu, directeur de la Confédération des entrepreneurs en construction (Timfed), interrogé par le Wall Street Journal. Selon lui, 70 % des chantiers privés ont été arrêtés ou ralentis.
Les entreprises du BTP turques ont bâti leur fortune en empruntant avantageusement en devises étrangères à la suite de la crise économique de 2008, quand les banques centrales avaient inondé les marchés de liquidités. Aujourd’hui, avec une livre turque ayant perdu 40 % de sa valeur face au dollar et des matériaux aux prix indexés sur un dollar fort, ces emprunts deviennent très difficiles à rembourser.
Elles ont ainsi vu les prix de l’acier doubler, ceux du ciment augmenter de 80 % et ceux des composants électroniques de 70 %, selon des données de la Timfed. À cela s’ajoute une crise immobilière dormante, avec 1,5 million de logements construits l’année dernière et entre 1,4 et 2 millions d’invendus, selon des acteurs du secteur immobiliers cités par The Independent. Une disparité de l’offre et la demande qui, selon les économistes, appelle encore une fois à annuler, reporter ou ralentir certains projets.
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