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20 Minutes, le 23/10/2019
DEAL Les Russes et les Turcs reprennent le contrôle de la frontière syrienne, comme le voulait Ankara
Lucie Bras
Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine à Sochi, le 22 octobre 2019. — Sergei CHIRIKOV / POOL / AFP
Les présidents russe et turc se sont accordés mardi sur un retrait des forces kurdes du nord-est de la Syrie.La Turquie et la Russie contrôleront ainsi la majeure partie de la frontière turco-syrienne.
Depuis le 9 octobre, l’opération de la Turquie contre les Kurdes syriens a provoqué le déplacement de centaines de milliers de civils dans le nord de la Syrie.
A Sotchi, six heures de négociations… et un « accord historique », s’est félicité le président turc Recep Tayyip Erdogan. Mardi, Ankara et la Russie ont trouvé un accord sur l’avenir de la frontière turco-syrienne. Ce texte, qui met un terme à l’offensive turque sur les populations kurdes, porte aussi en lui l’espoir d’une stabilisation de la région.
20 Minutes décortique le dossier avec deux spécialistes, Adel Bakawan, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et membre de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO) et Karim Pakzad, spécialiste du Moyen-Orient et chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
Que contient exactement cet accord ?
La Turquie et la Russie vont contrôler la majeure partie de la frontière turco-syrienne. Dans un premier temps, des patrouilles militaires russes et syriennes vont être déployées dans certains secteurs de la bande frontalière, là où l’armée turque a déclenché une opération militaire le 9 octobre. Elles auront pour objectif de « faciliter » le retrait des forces kurdes armées et leur désarmement dans une zone « profonde de 30 km » le long de la frontière syro-turque.
Puis, une semaine plus tard, des patrouilles communes, cette fois russo-turques, évolueront dans la zone. La Turquie a gagné le droit de rester déployée dans des secteurs appelés à être inclus dans une « zone de sécurité », secteurs ciblés par son offensive après le retrait des troupes américaines. Une zone qui s’étend sur 120 kilomètres sur le territoire syrien, et où l’armée turque n’a pas vocation à rester. Objectif pour Ankara : y installer 2 des 3,6 millions de Syriens qui se sont réfugiés en Turquie au moment de la guerre.
Kurdes, Turcs, Russes et Syriens… Qui sont les gagnants et les perdants de cet accord ?
Les grands gagnants de cet accord sont la Russie et la Turquie. La Russie, d’abord, parce qu’elle gagne la bataille de l’image : « L’intérêt de Poutine c’est de gagner en crédibilité et respectabilité », explique Adel Bakawan. « C’est son grand moment : il reprend la main sur un Proche-Orient en situation de chaos à cause des désengagements occidentaux. Il apparaît comme un acteur de référence. Il a un projet pour le Proche-Orient et reste relativement fidèle à ses paroles, face à un Donald Trump qui peut changer à tout moment de stratégie », complète le chercheur. En plus d’un accord, la Russie a obtenu l’arrêt de l’offensive turque sur les Kurdes et la reconnaissance de l’intégrité du territoire syrien.
De l’autre côté, la Turquie est satisfaite. Au prix de quelques concessions, elle obtient l’accord qu’elle espérait : « Une zone de sécurité dans laquelle Erdogan va installer deux millions de réfugiés syriens », détaille Adel Bakawan. « La Turquie est très préoccupée par sa sécurité nationale : elle pense que le contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS, des combattants kurdes) sur cette zone est une menace. Si elle a la garantie que les FDS se retirent de cette zone et que les 32 km négociés sont reconnus par Damas et Moscou, alors elle est satisfaite », affirme-t-il.
Les Kurdes syriens, eux, sont les grands perdants dans cette histoire. « Ils contrôlaient 4.500.000 individus, bénéficiaient du soutien des Etats-Unis et des pays de la coalition internationale mais aujourd’hui, ils sont obligés de faire avec Assad, car ils sont désarmés », rappelle Adel Bakawan. « Pour leur avenir politique en tant qu’entité dans le futur de la Syrie, leur seul espoir, c’est Vladimir Poutine. C’est lui qui négociera la reconfiguration de la Syrie », ajoute-t-il. « Leur seule victoire, c’est que cet accord a évité un massacre », celui de la Turquie sur les populations kurdes, complète Karim Pakzad.
Va-t-on vers une stabilisation de la région ? Quelles peuvent être les conséquences pour les civils kurdes qui y vivent ?
Selon les chercheurs, cet accord porte en lui un projet bien plus ambitieux : celui de la reconstruction de la Syrie, avec aux manettes Bachar al Assad, dictateur au passé sanglant, réhabilité par ses homologues. « Cet accord, c’est le retour de Bachar dans cette partie de la Syrie », estime Karim Pakzad. « C’est la victoire de Bachar al Assad en tant qu’acteur. Cet accord, c’est la reconnaissance du régime de Damas », abonde Adel Bakawan. « Dans les coulisses, c’est un projet de rapprochement entre Ankara et Damas qui se prépare. C’est même l’enjeu principal de cet accord. » Avec le retour des réfugiés sur leur territoire national, sur la base du volontariat, le pays se cherche un avenir. « Théoriquement, on est en train d’élaborer un futur sans représailles », affirme-t-il.
Mais entre les paroles et les actes, les chercheurs restent prudents. Karim Pakzad exprime ses craintes : « Tout se passera bien si les réfugiés acceptent de retourner sur des terres qui ne sont pas les leurs, si les civils kurdes acceptent de partir, tout cela de manière pacifique. Mais j’en doute. Si la Turquie veut installer ses réfugiés dans cette bande, elle ne pourra le faire que par la force. C’est la raison pour laquelle l’organisation des Nation Unies a exprimé ses inquiétudes sur l’avenir de cette région », conclut-il.
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