Les badauds passent devant la devanture bleu électrique sans même jeter un regard. Un grand poster en papier kraft annonce pourtant des soldes d’été records, de quoi allécher les dizaines de milliers de touristes qui déambulent chaque jour sur les pavés de l’Istiklal, la mythique artère piétonne située dans le quartier de Beyoglu, au coeur d’Istanbul. Malgré cela, à l’intérieur du magasin Columbia, pas âme qui vive. « ça faisait un an et demie que la marque était en difficulté et qu’il n’arrivait plus à payer les loyers », explique Ihsan Aydogan, propriétaire de l’immeuble où la célèbre enseigne de vêtements de sport avait élu domicile. «Ils ont commencé à être sérieusement en difficulté à partir de novembre, avec les premières attaques terroristes dans le pays», précise le businessman.
La Turquie vient en effet de traverser l’une des plus sanglantes années de son histoire. En l’espace de douze mois, le pays a été frappé par une quinzaine d’attaques terroristes (attribuées à l’Etat islamique et à des groupes kurdes), faisant plus de 280 victimes. A Istanbul, ce sont les places touristiques qui ont été prises pour cibles. En mars dernier, l’Istiklal est lourdement meurtrie après qu’un kamikaze, lié à Daesh, se soit fait exploser en plein milieu de l’avenue, tuant avec lui cinq touristes étrangers.
Des attaques sanglantes qui ont sérieusement découragé les visiteurs. « Avant, chaque week-end, plus de 2,5 millions de personnes se promenaient sur l’Istiklal. Aujourd’hui, on est à environ un million », confie Tahir Berrakkarasu, ancien président de l’association des lieux de divertissement du quartier de Beyoglu. Une désertion d’Istanbul synonyme de sérieux manque à gagner financier pour commerçants déjà acculés par une hausse constance des prix de l’immobilier dans le quartier. « Pour un local que vous auriez payé 9600 francs il y a dix ans, maintenant il faut débourser 87000 francs », confie, un peu inquiet, Ihsan Aydgoan. Contraintes et forcées, des dizaines d’enseignes (turques et étrangères) baissent alors leur rideau et quittent l’Istiklal.
Il est pourtant des touristes que la vague d’attaques terroristes n’a pas refroidis. En effet, bon nombres de commerçants stambouliotes se consolent en voyant le nombre de visiteurs des pays du Golfe en constance augmentation. « Les terroristes frappent aussi en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis, la Turquie est un pays comme les autres, il faut faire avec », constate Salah, imperturbable touriste saoudien accompagné de sa femmes et de ses filles, entièrement voilées. « On se sent bien accueilli ici, on se sent en sécurité, même si on a l’impression que les commerçants s’intéressent surtout à notre argent », ironise sa cadette.
Un tourisme – plus conservateur – venu du Golfe qui n’est pas sans impact sur l’atmosphère de l’Istikal et de son quartier, réputé pour ses soirées festives et arrosées, soulignent les habitants. « Ils ont des attentes qui ne correspondent pas vraiment au concept du quartier. Ils préfèrent la nourriture, les enseignes de pâtisserie aux endroits où on s’amuse et où en boit », confie Tahir Berrakkarasu. Résultats, bars et les discothèques mettent à leur tour la clé sous la porte, « éteignant » un peu plus le coeur d’Istanbul.
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