Depuis l’origine, le festival Premiers Plans a laissé une large place au cinéma turc. Un acte politique en soi, révélant des talents majeurs.
Trois ans plus tard, en 2009, Premiers Plans persiste et signe : c’est « Le jeune cinéma turc » qui est mis à l’honneur, estimant que c’est en partie sur cette frontière continentale que se jouait le renouveau du cinéma européen. Ce que confirme le directeur du festival du film d’Istanbul, Kerem Ayan : « En Turquie, il y a un avant et un après Nuri Bilge Ceylan, en terme de dynamique », explique-t-il, évoquant la traversée du désert du cinéma turc dans les années 80, après avoir été l’une des places fortes du cinéma mondial dans les années 50 et 60. « Certains se sont inscrits dans la veine de Bilge Ceylan au début des années 2000, mais aujourd’hui, la nouvelle génération a complètement changé de style. Ils sont plus libres et mettent beaucoup d’énergie dans les films. Ce que l’on reproche un peu aux festivals européens en ce moment, c’est de ne sélectionner que des films qui montrent l’Anatolie et ses villages perdus, très orientaux… Reste que les films réalisés depuis une vingtaine d’années en Turquie sont un bon miroir de ce qu’est la société turque aujourd’hui », conclut Kerem Ayan.
Kaam Mujdeci, le réalisateur de Sivas, primé à Premiers Plans en 2015 nuance quelque peu le propos : « Le monde réel est bien évidemment une source d’inspiration pour les personnages ou les histoires ; en ce sens, le cinéma peut « tenir » un miroir à la société, mais d’une manière personnelle, voire déformée car, façonnée par l’expérience visuelle des deux côtés: celui du cinéaste et celui du spectateur. »
C’est précisément cette expérience visuelle que Premiers Plans s’attache à développer chez les festivaliers, à l’endroit du cinéma -et de la société- turcs. Innocence (Grand prix du jury en 1997) interroge le bouleversement des valeurs en Turquie, comme deux ans auparavant B. L’amour plus froid que la mort (Prix Jean-Carmet, 1995) : Canan Gerede y montre Istanbul écartelée entre l’Orient et l’Occident, et la société turque entre tradition et modernité.
Plus récemment, dans Çogunluk (Grand prix du jury en 2011), Seren Yüce dépeint l’ennui d’une génération, au gré d’un « long » très critique envers la Turquie contemporaine.
Le cinéma de Bilge Ceylan (Kasaba ou Nuages de Mai), Cold of Calandar (Mustafa Kara, 2016) ou Sivas présentent, sous des formes esthétiques toute autre, un autre versant de la réalité turque, plus reculée.
Complexe, diverse, tourmentée, changeante, la Turquie, comme l’Europe, est à un tournant de son histoire. Ses cinéastes, pas plus que l’écho que leur offre Premiers Plans, n’entendent donner de réponses définitives aux questions posées. Mais entretenir une curiosité réelle vis-à -vis de leur pays.
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