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France 24, le 05/01/2021
Istanbul (AFP)
L’une est une modeste femme de ménage voilée qui habite une lointaine banlieue d’Istanbul, et l’autre une psychiatre bourgeoise et occidentalisée, qui passe ses vacances à l’étranger et a les conservateurs en horreur.
Ce duo improbable est au coeur d’une série qui rencontre un immense succès en Turquie, dont elle dépeint sans fard la complexité et les lignes de faille sociales, dans un contexte de polarisation du pays sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan.
La série « Ethos » (« Bir Baskadir », en turc), diffusée sur la plateforme Netflix, a suscité un grand intérêt à l’étranger, illustrant l’attractivité croissante des productions turques qui s’exportent au Proche-Orient, en Asie et en Amérique latine.
L’oeuvre en huit épisodes du réalisateur et écrivain Berkun Oya se distingue en s’aventurant là où aucune série n’avait osé le faire avant elle, offrant au grand public une représentation des fractures sociales et familiales du pays.
« La série a réussi à trouver un équilibre entre production populaire et oeuvre profonde », estime Dogan Gurpinar, historien à l’Université technique d’Istanbul.
La série, mise en ligne le 12 novembre, doit beaucoup au talent de l’actrice Oyku Karayel, qui incarne Meryem, une jeune femme de ménage coincée entre un frère écrasant et les préceptes du « hodja », sorte de conseiller spirituel, du quartier.
Jusqu’au jour où elle rencontre Peri, une psychiatre jouée par Defne Kayalar qui est son reflet inversé : issue d’une famille aisée, elle est ultralaïque, surdiplômée et s’inquiète du tournant conservateur pris par la Turquie.
– Corde sensible –
Aussitôt parue, « Ethos » a déclenché un débat intense en Turquie. La série touche en effet une corde sensible : année après année, les sondages montrent que le pays est de plus en plus polarisé socialement et politiquement.
Dans une étude du groupe de réflexion américain German Marshall Fund publiée en décembre, 75% des personnes interrogées en Turquie se disaient opposées à ce que leur enfant se marie avec une personne soutenant le parti politique dont elles se sentent « le plus éloignées ».
Comme pour donner l’exemple, l’actrice qui interprète Meryem, et qui ne porte pas le foulard islamique dans la vie, a déclaré qu’elle se sentait proche de son personnage.
Meryem « se sent coincée, mais est-ce sa faute ? Non, c’est la vie qui est en cause, l’environnement social qui la bride et d’où elle trouve une échappatoire à sa façon, avec naïveté », a déclaré l’actrice Oyku Karayel à des médias turcs en novembre.
La Turquie, qui compte 83 millions d’habitants, s’est construite au sortir de la Première Guerre mondiale avec la volonté de modeler un Etat-nation avec une identité unique, loin du cosmopolite Empire ottoman dont elle est issue.
Mais en réalité, dans ce pays qui s’étire sur l’Europe et l’Asie vivent nationalistes turcs et minorité kurde, urbains occidentalisés de la côte ouest et Anatoliens plus conservateurs, islamistes et « laïcards ».
– Langages différents –
Dans « Ethos », le fossé entre Meryem et la psychiatre Peri s’entend dans leur manière de s’exprimer qui révèle non seulement leur éducation et leur classe sociale, mais aussi des choses plus profondes, comme leur rapport à l’islam.
Ainsi, Meryem dit souvent « si Allah le veut », et s’adresse à Peri en utilisant le mot « abla », qui signifie littéralement « grande soeur » et établit ici une hiérarchie entre elles.
Fascinée et agacée par sa patiente, Peri confie à sa propre thérapeute qu’elle se sent « davantage chez (elle) au Pérou », où elle est allée en vacances, qu’en Turquie, son pays.
Comme pour souligner la transmission des préjugés de génération en génération au sein des familles, elle explique que sa mère considère les femmes voilées comme des sortes de « monstres ».
Si la série a été largement saluée, certains dénoncent un « cliché » dans l’opposition éculée entre la bourgeoise laïque et la femme pieuse sans instruction.
Certaines femmes voilées diplômées « se sont légitimement demandé: +Pourquoi ne sommes-nous pas représentées ?+ », indique à l’AFP Zeynep Serefoglu Danis, membre de la conservatrice Association des Femmes turques et de la Démocratie, une organisation co-dirigée par une fille du président Recep Tayyip Erdogan.
La série aurait dû « aller au-delà de l’évidence » dans sa représentation des divisions entre femmes traditionnelles et modernes, estime-t-elle, tout en reconnaissant qu’une oeuvre de fiction ne peut « offrir une vue panoramique » du pays.
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