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La presse syrienne exilée en Turquie interdite après «Charlie»
HALA KODMANI – Libération,22 JANVIER 2015
Des dizaines d’exemplaires de quatre hebdomadaires distribués dans le nord de la Syrie ont été brûlés à Alep.
L’homme cagoulé n’avait pas besoin de verser de l’essence pour mettre le feu au tas de journaux syriens accusés de soutien à Charlie Hebdo. Mardi, des dizaines d’exemplaires de quatre hebdomadaires syriens, aujourd’hui publiés en Turquie et distribués dans le nord de la Syrie, ont été saisis à un barrage, brûlés et désormais interdits pour «atteinte au Prophète» dans la zone contrôlée par les groupes extrémistes. La vidéo diffusée par le groupe salafiste Ahrar Al-Sham montrant la scène dans une rue d’Alep visait autant à enflammer les esprits que le papier.
«L’affaire Charlie Hebdo n’est que le dernier prétexte trouvé pour interdire nos journaux», estime Absi Someisem, directeur de la rédaction de Sada al-Sham («L’écho de la Syrie»), l’un des titres incriminés, installé à Istanbul. «Plusieurs agressions se sont produites auparavant contre des journalistes, des activistes média et des distributeurs de nos journaux. La liberté de l’information est l’ennemi principal des mouvements salafistes, qui comme tout système totalitaire, ne tolèrent aucune autre opinion. Ils raisonnent selon la formule « qui n’est pas avec nous est contre nous ». La différence c’est qu’ils le font au nom de la religion. Nous accuser d’atteinte au prophète est pratiquement un appel au meurtre de tous nos collaborateurs.»
La journaliste syrienne Zaina Erhaim. Photo DR
Une semaine avant l’incident, la pancarte «Je suis Charlie», brandie par la journaliste syrienne Zaina Erhaim et par d’autres jeunes activistes, toujours à Alep, avait été soulignée par François Hollande dans son discours à l’Institut du monde arabe. Comme d’autres voix syriennes, les quatre hebdomadaires brûlés ont exprimé au lendemain de l’attentat leur solidarité dans leurs colonnes au nom de la liberté d’expression. Seul l’un d’entre eux, Souryatna («Notre Syrie»), avait affiché sur une page entière le célèbre slogan «Je suis Charlie», en publiant des anciens dessins de Charlie Hebdo, notamment ceux épinglant Bachar El-Assad, pour souligner que le journal satirique ne s’attaquait pas qu’à l’islam.
Protestors walk in the streets of the rebel-held part of the northern Syrian city of Aleppo holding banners, some praising the Prophet Mohammed (C), during a demonstration on January 15, 2015, condemning the latest cartoon published by the French satirical newspaper Charlie Hebdo featuring the prophet. This week Charlie Hebdo published a « survivors » issue featuring an image of the Prophet Mohammed weeping, which sold out before more copies in an eventual print run of five million hit newsstands in France. T
«Parce que la liberté d’expression dont nous avons été privés pendant plus de cinquante ans en Syrie est au cœur de notre combat et de nos sacrifices immenses, nous avons tenu à afficher notre solidarité avec Charlie Hebdo», affirme Jawad Mouna, directeur de la rédaction de Souryatna, premier journal militant publié dès 2011 dans la banlieue de Damas et forcé de s’exiler récemment en Turquie.
«Nous n’avons pas repris de dessin du prophète et nous n’approuvons pas leur publication qui heurte la sensibilité des musulmans. Mais ceux qui ont attaqué Charlie Hebdo ont commis un plus grand crime contre nous musulmans et surtout les Syriens en facilitant la tâche de Bachar El-Assad de nous présenter comme des terroristes.» Aucun des journaux sanctionnés à Alep n’avait commis «d’atteinte au prophète» comme l’accusent les extrémistes. «Ce sont des imbéciles qui ne lisent pas», s’énerve Absi Someisem, «ni Sada Al-Sham, ni Enab Baladi, ni Tamaddon [les autres journaux visés] ne font la moindre allusion aux dessins du prophète. Mais ils veulent s’en prendre aux journalistes.»
Ce débat d’idées parmi les journalistes démocrates syriens tout comme la censure brutale qui les a frappés à Alep reste un phénomène marginal aux yeux de la population. La majorité des Syriens affichent leur incompréhension qu’on fasse «tant de bruit pour 17 tués en France quand 200 000 morts ne suscitent que l’indifférence du monde».
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