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RFI, le 01/05/2021
Chronique transports
Par Marina Mielczarek
En Turquie, un canal divise la ville d’Istanbul. Au sens propre comme au figuré. Puisqu’il s’agit de construire un bras de mer de 45 km. Approuvé le mois dernier par le gouvernement, ce nouveau canal couperait la ville du nord au sud, parallèlement à l’actuel détroit du Bosphore. Mais en Turquie, ce mégaprojet cher au président Erdogan provoque la colère de l’opposition.
Pour la photographie, il s’agit de bien visualiser Istanbul. La ville est déjà coupée en deux par un bras de mer, le détroit du Bosphore. Si ce nouveau canal d’Istanbul est creusé, il formera une route parallèle au détroit du Bosphore existant. Mais surtout plus droit et plus direct. Promesse de moins d’attentes pour l’accès à la traversée et moins de virages qui ralentissent la navigation.
Les marins le reconnaissent, sur le Bosphore, les bateaux naviguent au ralenti, mais ils naviguent gratuitement. La règle est valable pour la marine marchande comme pour les bateaux militaires. Ceci, en vertu de la Convention de Montreux de 1936.
Des militaires emprisonnés puis relâchés
Ce nouveau canal d’Istanbul, s’il voit le jour, sera payant. Et ça, pour un président Erdogan en échec économique, c’est la carte à jouer. Et gare à ceux qui s’y opposent. Le mois dernier, dix anciens amiraux en ont fait les frais. Emprisonnés pour avoir dénoncé une entrave à la Convention, ils ont finalement été relâchés. Et selon le professeur et politologue Cengiz Aktar, la colère face à cette nouvelle voie maritime s’entend jusqu’en Russie :
« C’est vrai que pour le président Erdogan, dit-il, ce canal représente la chance de sauver l’économie turque qui est en faillite actuellement. Donc, il va y aller, mais trouvera-t-il les crédits pour les 11 milliards de dollars que coûtent les travaux ? Les Chinois se sont montrés intéressés, mais il faudra encore trouver d’autres fonds. En Turquie, cette affaire de canal est en train d’inquiéter la population qui y voit une dépense indécente vu le contexe économique. Mais en raison des risques de pollution, ces travaux alertent aussi les pays tout autour. » (Le malaise turc. Dernier livre de Cengiz Aktar aux Éditions Empreintes)
La Chine et le Qatar, éventuels financeurs
Outre la Chine, le Qatar pourrait aussi mettre la main à la poche. Mais aucune signature officielle n’a encore été annoncée. Qu’importe, ce mégaprojet intéresse en raison des bénéfices immobiliers. En parallèle au canal, Istanbul se verrait redessiné. De nouveaux commerces et quartiers d’affaires sont prévus tout le long du canal. Le mois dernier, lors de l’annonce du creusement du canal, les plus grandes sociétés turques du bâtiment, ont vu leurs actions augmentées de 4% !
À titre de comparaison, les taxes sur le canal de Suez rapportent 5,5 milliards de dollars à l’Égypte chaque année. Ce futur canal d’Istanbul à péage aurait une capacité de 55 000 passages de navires par an.
Immeubles d’habitations et centres d’affaires reliés à l’aéroport
Émile Bouvier, cartographe expert du Moyen-Orient estime qu’avec une circulation 4 fois plus importantes que celle du canal de Suez, les profits pour la Turquie seraient juteux :
« C’est un vrai projet de grandeur pour le Président Erdogan. Il insiste pour achever les travaux en 2023 en raison du symbole. En effet, en 2023, la Turquie célèbrera le centenaire de la République. Il est prévu tout au long du canal des complexes immobiliers Le Président turc cherche à redorer l’image d’une Turquie puissante, une Turquie qui compte sur la scène internationale. »
Brassage d’eau de mer, toxique pour les poissons
Quant aux opposants, ils continuent d’afficher le désastre écologique. Menace de bétonisation d’Istanbul et brassage des eaux de mer. Deux mers, la mer Noire à l’embouchure nord du canal et la mer de Marmara au sud. Ce mélange lors des travaux ferait de telles différences de températures et de taux de sel que les poissons et les végétaux n’y survivraient pas.
Tête de liste de l’opposition au gouvernement, la mairie d’Istanbul ne fait que publier les contre-rapports pour contrer ceux du pouvoir actuel. Parmi les menaces brandies, il est dit que les pollutions s’étendraient aux eaux des pays voisins, jusque dans les rivières et fleuves russes. Mais en réalité, les Russes s’alerteraient plus pour des raisons politiques et militaires. Un canal supplémentaire exonéré de la Convention de Montreux pourrait faciliter un accès aux puissances ennemies en temps de guerre.
Suez et Panama ont subi les mêmes critiques
Les associations écologistes crient au scandale. Selon elles, rien ne justifie de vouloir désengorger le détroit du Bosphore puisque le trafic n’y sera pas aussi important ces prochaines années. Notamment en raison d’une construction d’un oléoduc qui réduirait le transport du gaz via le détroit.
Mais en Égypte (canal de Suez) ou au Panama, en Amérique Latine (Canal de Panama) c’est aussi ce qu’on a entendu, lors des annonces des travaux. Et ça n’a jamais empêché leur naissance.
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