Bienvenue sur le site de l'Association A TA TURQUIE.
A TA TURQUIE, créée en 1989 pour faire connaître la culture turque, à la fois au grand public et aux jeunes générations issues de l’immigration turque, a rapidement développé ses actions pour répondre aux besoins des personnes originaires de Turquie et des responsables chargés des questions sur l'intégration.
Soutenez A TA TURQUIE en adhérant ou en faisant un don en cliquant ici.
A TA TURQUIE, créée en 1989 pour faire connaître la culture turque, à la fois au grand public et aux jeunes générations issues de l’immigration turque, a rapidement développé ses actions pour répondre aux besoins des personnes originaires de Turquie et des responsables chargés des questions sur l'intégration.
Consultez le Pressbook d'A TA TURQUIE d'articles parus dans la presse régionale et nationale depuis 1990 et faites-vous une idée des actions et manifestations organisées par l'Association.
Suivez la presse quotidienne en relation avec la Turquie et retrouvez nos archives d'articles de presse depuis 2001 : La Turquie dans les médias francophones, extrais de la presse turque, l'Europe et la Turquie, immigration, économie... Lire la suite...
Consultez les informations consulaires, les démarches nécessaires pour un mariage franco-turc, valider en France un divorce prononcé en Turquie, demande de visa pour venir en France, recours en cas de refus de visa...
Depuis 1989, A TA TURQUIE publie la revue bilingue Oluşum/Genèse d'art et de littérature. Elle est un outil de communication interculturelle traite de sujets très variés, touchant à la littérature, aux arts et à l'immigration. Elle publie également divers ouvrages (recueils de poèmes, récits, contes...)
L'association vous informe des nouvelles parutions et met à votre disposition une bibliothèque numérique de plusieurs centaines d'ouvrages classés par auteur.
Oluşum/Genèse est une revue bilingue (français/turc) d'art et de littérature. Elle est un outil de communication interculturelle et constitue une plate-forme pour toutes les créations artistiques des jeunes et traite de sujets très variés, touchant à la littérature, aux arts et à l'immigration. Lire la suite...
Abonnez-vous à une revue unique en son genre destinée à tout public institutionnel ou privé pour qui la culture est un support de travail et de réflexion.
Avec plus de 20 ans d’actions culturelles, A TA TURQUIE met à votre disposition son savoir-faire et vous propose sa collaboration pour l'organisation de manifestations culturelles, notamment dans le cadre de l’interculturalité : expositions, conférences, conférence-diapo... Lire la suite...
Avec plus de 30.000 pages vues/mois, A TA TURQUIE vous donne la possibilité d'afficher vos encarts publicitaires pour un public ciblé avec un trafic de qualité.
A TA TURQUIE vous informe des manifestations culturelles en relation avec la Turquie organisées en France dans son agenda. Vous pouvez également ajouter vos propres manifestations dans l'agenda pour une meilleure promotion. Lire la suite...
Le Figaro, le 16/11/2020
Par Tancrède Josseran
RÉCIT – Depuis que la crise a éclaté cet été entre la Turquie et la Grèce pour le contrôle des hydrocarbures en Méditerranée, le président Erdogan joue la surenchère. Une attitude éclairée par une histoire de tensions séculaires entre les deux pays.
Cet article est extrait du nouveau Figaro Histoire: «Comment les communistes ont pris le pouvoir en Chine»,
132 pages, 8,90 €, disponible en kiosque et sur le Figaro Store.
Istanbul, 24 juillet 2020. L’imam achève son prêche sous les voûtes de Sainte-Sophie. Devant un parterre recueilli, se détache Recep Tayyip Erdogan. À quoi peut bien penser le président turc? Toute sa vie, il a attendu cet instant. Il lui a donné corps le 10 juillet en annonçant la retransformation de l’antique basilique chrétienne en mosquée, puis en choisissant le jour anniversaire du traité de Lausanne pour cette première prière collective. Hagia Sophia, c’est en effet pour lui l’antidote à ce traité qui a fixé, en 1923, des frontières turques qu’il rêve de remodeler. Mais c’est aussi le symbole d’une promesse divine faite à un peuple choisi: les Turcs. À charge pour eux de relever le Croissant. Un hadith du prophète Mahomet promettait la félicité éternelle à qui s’emparerait de la capitale byzantine: «Constantinople sera subjuguée. Quel chef courageux, celui qui la prendra! Quels braves soldats ceux qui lui obéiront!»
Le 29 mai 1453, là où les Arabes avaient échoué, les Turcs ont réussi. Or, entre Mehmet II, le tombeur de Constantinople, et Erdogan, il n’y a qu’un pas. À sa manière, le président turc se veut aussi un conquérant. En moins de vingt ans, le Reis (chef) a pulvérisé la forteresse kémaliste et propulsé son pays sur la scène planétaire. Désormais, le pavillon turc fend les eaux jusqu’en Libye et à l’océan Indien. Mais, sur le chemin de la puissance, la Turquie se heurte à un obstacle. En un millénaire, il n’a pas changé de nom: la Grèce.
Maîtresse des détroits, Byzance avait contenu la poussée turque jusqu’à la fin du Moyen Age. Plus profondément, Ottomans et Byzantins prétendaient à l’universalité, et il n’y avait de place que pour un empire. Au XIXe siècle, les Grecs avaient été les premiers à secouer le joug ottoman. Ils avaient créé une brèche dans laquelle s’étaient engouffrés les peuples de l’empire. Les jours de la Sublime Porte étaient désormais comptés. Au début du XXe siècle, alors que l’Europe implose, Turcs et Grecs s’affrontent de nouveau. Sur les ruines de la théocratie ottomane, les deux peuples revendiquent la même terre, l’Anatolie. Chacun veut construire son propre État-nation. Massacres et échanges de populations s’enchaînent. La Grèce sort de l’affrontement vaincue et humiliée. Un siècle plus tard, la Turquie déborde du pré carré anatolien. Les Turcs regardent vers le grand large, la Méditerranée orientale et ses richesses énergétiques. Sur leur route, la Grèce se dresse encore une fois, comme le montre la crise qui a éclaté cet été.
Le 21 juillet, la Turquie envoyait son navire d’exploration gazière Oruç Reis, escorté par quinze bâtiments militaires, dans les eaux de l’île grecque de Kastellorizo. Après un branle-bas de combat de sa marine, la Grèce a riposté, le 6 août, en signant avec l’Egypte un accord pour former une zone économique exclusive (cet espace maritime de 200 milles nautiques, régi par le droit international, qui assure à un Etat côtier des droits souverains sur les ressources qui s’y trouvent), répondant à un accord analogue conclu en novembre 2019 entre la Turquie et la Libye. Aussitôt, Ankara renvoyait l’Oruç Reis, escorté cette fois de cinq bâtiments de combat. Depuis lors, affichant clairement son soutien à Athènes, c’est la France qui a déployé dans la zone navires de guerre et avions de chasse Rafale. Une démonstration de force qui n’a pas encore enrayé l’escalade pour le contrôle de la Méditerranée orientale, comme le montre la récente passe d’armes entre Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan, lequel lançait, le 12 septembre, vaguement menaçant: «M. Macron, vous n’avez pas fini d’avoir des ennuis avec moi.»
Aux sources de l’antagonisme gréco-turc, il y a une réalité géographique: l’Anatolie, pointe avancée de l’Asie en Méditerranée, colonisée par les Grecs depuis le XIIe siècle av. J.-C. C’est dans ce cul-de-sac que sont venues buter, l’une après l’autre, au Moyen Age, les vagues d’invasions issues des profondeurs des steppes. À la fin du XIe siècle, une horde de cavaliers dévalent de l’Altaï et y plantent leurs yourtes. À l’ardeur des nouveaux convertis, les Turcs seldjoukides mêlent les vertus guerrières des peuples nomades. À charge pour eux de reprendre le flambeau de la guerre sainte abandonnée par les Arabes. En 1071, le sultan Alp Arslan (1029-1072), «le lion robuste», écrase l’empereur byzantin Romain IV Diogène à la bataille de Manzikert. Les conséquences sont immédiates. La porte de l’Anatolie, terre hellénisée depuis l’Antiquité, s’ouvre à la poussée touranienne.
Désormais, chaque chef de horde veut contempler la «mer blanche» (Akdeniz). Les plus audacieux regardent déjà vers la coupole de Sainte-Sophie. Surtout, cette bataille acte la naissance de la Turquie en Asie Mineure. Auparavant grecque et chrétienne, l’Anatolie devient turque et musulmane par le sang versé. Loin d’être une invasion massive, cette conquête ne concerne pourtant que quelques dizaines de milliers d’individus. Mais, à la différence de l’Iran où les dynasties seldjoukides disparaissent bientôt, assimilées, ce sont les Grecs qui sont absorbés. À cela une raison essentielle: faite au nom du jihad, l’avancée turque annihile les ressources de l’Église byzantine. Privé de revenus fonciers, soumis à la fiscalité écrasante des vainqueurs, le clergé byzantin sombre dans l’indigence. Volontaires ou non, les conversions s’accélèrent. Repoussés d’Anatolie, les Grecs se cramponnent à ses pourtours.
Constantinople: le choc des empires
Au milieu du XVe siècle, l’Empire byzantin se trouve réduit à sa plus simple expression: Constantinople cité-Etat et quelques possessions éparses. Si les Seldjoukides ont laissé place aux Ottomans, l’objectif reste le même: la Corne d’Or. Aux yeux des Turcs, la ville des Césars fait figure de trophée divin. Son cœur symbolique, Hagia Sophia, aurait été dès l’origine prédestiné à recevoir la prière islamique. Dès le VIIe siècle, la capitale byzantine avait attiré les raids arabes et Eyüp, compagnon de Mahomet, avait trouvé la mort sous ses murailles. Constantinople contrôle les grands axes nord-sud. À cheval sur les détroits, elle bloque l’unification de l’Empire ottoman, qui déjà se projette sur l’Europe et les Balkans. Pire, la ville byzantine est susceptible d’accueillir une nouvelle croisade chrétienne, qui frapperait traîtreusement les Ottomans. Surtout, elle est la capitale d’un empire qui proclame la même élection divine. À ce stade, nul compromis ne semble possible aux yeux des Ottomans. Pour que l’Empire ottoman vive, il faut que son double chrétien meure.
Cette dimension eschatologique se retrouve aussi chez les Grecs. Le 29 mai 1453, alors que l’enceinte de la ville a cédé, une foule apeurée de femmes, de prêtres et d’enfants se pressent dans Sainte-Sophie. Le sultan Mehmet II entre sur son destrier. Il caracole jusqu’au maître-autel et s’écrie: «Il n’y a d’autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète.» Or, rapporte une légende grecque, un prêtre célébrait la messe à ce moment ; il aurait quitté l’autel en emportant le calice sacré et se serait engouffré dans une porte dérobée immédiatement aveuglée par un mur de pierre. Mais, conclut la légende, quand Sainte-Sophie sera rendue au culte chrétien, cette porte s’ouvrira et le prêtre achèvera sa messe interrompue.
Au lendemain de la conquête, Mehmet II voue Sainte-Sophie au culte musulman. Lui et ses successeurs flanquent la basilique de minarets. À son sommet s’élance un gigantesque croissant de bronze. Sans difficulté, l’Empire ottoman se coule dans les institutions byzantines. À l’origine soldat de l’islam, le sultan reprend la pourpre des Césars. Le philosophe grec Georges de Trébizonde souligne cette continuité dans une lettre au conquérant de Constantinople: «Personne ne doute que, de plein droit, tu es empereur des Romains [des Byzantins]. Car, en effet, est l’empereur celui qui, légalement, détient le siège de l’empire. Or le siège de l’Empire romain [byzantin] est Constantinople.» L’hellénisme atrophié de sa vocation impériale ne survit dorénavant que par sa religion, l’orthodoxie.
La Grèce en dormition
Empire cosmopolite, la Sublime Porte réunit sous son sceptre Turcs et Grecs. Au sens moderne du terme, la nation est inconnue. Tout repose donc sur la religion. En échange d’une large autonomie juridique, les chefs spirituels des communautés non musulmanes jurent allégeance au sultan: c’est le système du millet (communauté religieuse). Les peuples de l’empire sont ainsi principalement répartis entre deux millets: chrétien orthodoxe et musulman sunnite. Troisième personnage de l’État après le sultan et le grand vizir, le patriarche de Constantinople concentre entre ses mains le magistère spirituel et le pouvoir temporel sur tous les orthodoxes de l’empire.
Le prosélytisme chrétien étant prohibé, les conversions n’ont lieu que dans un seul sens. En conséquence, le peuple turc actuel est en partie de souche grecque. À condition d’adopter l’islam, l’origine ethnique n’est revêtue d’aucune importance dans l’Ètat ottoman, seul comptent les capacités. Au XVIe siècle, apogée de la Sublime Porte, sur les neuf vizirs de Soliman le Magnifique, huit étaient nés chrétiens. Capitaine légendaire de la marine ottomane, Hayrettin Barbaros (1466-1546) est un Grec converti de Lesbos.
À défaut d’accéder aux responsabilités politiques, ceux des Grecs qui tiennent à conserver leur foi investissent les affaires. Les répercussions sont immédiates. Si les Turcs continuent à s’illustrer sur les champs de bataille, les Grecs prennent la tête d’une prospère bourgeoisie marchande. Ni grec ni franchement turc, l’Empire ottoman accouche d’une synthèse originale, à l’image de sa géographie: c’est, écrit l’historien Dimitri Kitsikis, «le centre de la région intermédiaire entre Occident et Orient», un empire des deux rives. C’est au milieu de la mer Egée que bat le cœur de l’édifice balkano-anatolien. L’Egée fixe le point d’équilibre impérial. Dépouillée de sa maîtrise, la Sublime Porte serait condamnée à dépérir.
Le réveil de l’Hellade
À la fin du XVIIIe siècle, l’Empire ottoman encaisse un double choc: territorial et idéologique. En 1774 est signé le traité de Küçük Kaynarca. C’est le début de la question d’Orient et donc du partage de l’Empire ottoman. La Porte cède la Crimée au tsar. Pour la première fois, une terre peuplée de musulmans, les Tatars, passe sous giron chrétien. Surtout, la mer Noire cesse d’être un lac ottoman et Constantinople se retrouve à portée directe des escadres russes. Or, Saint-Pétersbourg ne rêve que d’une chose: relever la Croix sur Sainte-Sophie et s’y proclamer la Troisième Rome. Simultanément, la descente russe vers les mers chaudes rencontre les aspirations d’une bourgeoisie orthodoxe frustrée d’être tenue à l’écart du pouvoir politique. Tout de suite, elle se place sous la protection de la Russie.
La Révolution française consacre la seconde rupture. Désormais l’ordre divin n’est plus le principe exclusif de toute souveraineté. Sensibles à l’air du temps, de plus en plus de Grecs souhaitent un pouvoir sécularisé à équidistance du sultan et du patriarcat. Les plus décidés des révolutionnaires grecs décident de s’affranchir totalement de l’empire. La guerre d’Indépendance qui éclate en 1821 débouche, en 1832, sur la création d’un royaume hellène dans le Péloponnèse. La révolte grecque achève de miner l’axe balkano-anatolien, clé de voûte de l’empire. Défaite à Navarin par une coalition navale russo-anglo-française, la marine ottomane perd le contrôle de l’Egée. Désormais, les deux poumons de l’empire écartelés s’étiolent. Au surplus, les Grecs ont prouvé aux autres peuples de l’empire (Serbes, Bulgares, Albanais, Arméniens, Arabes) qu’il était possible d’accéder au stade moderne de l’existence nationale: l’État-nation.
L’Anatolie: une terre et deux nations
À la fin du XIXe siècle, le processus de décomposition de l’Empire ottoman s’accélère. Assaillie de tous côtés, percluse de dettes, la Porte peine à se réformer. Ce constat pousse un groupe d’officiers, les Jeunes-Turcs, regroupés au sein du Comité Union et Progrès, à prendre le pouvoir en 1908. Les unionistes jugent que la restauration de l’État passe par un retour aux sources. C’est aux Turcs d’affirmer leur rôle d’élites dirigeantes et de réunir autour d’eux les populations musulmanes afin de mieux résister aux appétits extérieurs. Les Turcs s’approprient à leur tour l’idée nationale et répudient l’universalisme impérial. Or le nouvel État-nation en gestation rencontre un obstacle de taille: la présence, en Asie Mineure, d’importantes minorités chrétiennes, grecques et arméniennes.
Certes, l’actuelle Turquie est peuplée dès cette époque d’une majorité de musulmans (70%). Mais les Grecs occupent de solides assises sur la côte égéenne. Cette minorité persécutée aspire à être rattachée au royaume de Grèce. Cela renforce l’hostilité des unionistes à l’égard de cette Grèce qui, depuis 1830, n’a cessé de s’étendre avec le soutien de l’Occident: elle a annexé la Crète (1908), ravi la Macédoine et Salonique à l’occasion des guerres balkaniques (1912-1913) et lorgne désormais vers l’Asie Mineure. Or l’Anatolie apparaît aux Jeunes-Turcs comme l’ultime refuge d’une nation turque chassée des Balkans, du Caucase, d’Afrique du Nord et désormais aux abois. Aussi, les Grecs prennent-ils définitivement pour eux le visage d’une minorité fourbe, prédatrice et ingrate. Ils leur reprochent d’accaparer la vie économique du pays, empêchant l’éclosion d’une authentique bourgeoisie nationale. Cinquième colonne en puissance, ils ourdiraient l’expulsion des Turcs d’Anatolie.
De Sèvres à Lausanne
Après la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman paye le prix de son alliance avec l’Allemagne. Défaite, la Turquie doit s’en remettre au bon vouloir des vainqueurs. Les Grecs jugent alors le moment venu de réaliser la «Grande Idée», soit la réunion de tous les Grecs dans un État-nation avec Constantinople pour capitale, et d’annexer l’Anatolie occidentale. Ils y sont encouragés par les Anglais, qui voient dans la Grèce un moyen de verrouiller les détroits et de bloquer une fois pour toutes la descente de la Russie, devenue bolchevique, vers la Méditerranée.
Le 10 août 1920, l’Empire ottoman signe son acte de décès dans le salon d’honneur de la manufacture de Sèvres. En 433 articles, le traité de Sèvres dépèce l’Anatolie entre Français, Italiens, Grecs, Kurdes et Arméniens. Athènes s’arroge la Thrace et la région de Smyrne. Cependant, les vainqueurs n’ont pas les moyens d’appliquer le traité. Epuisés par la guerre, Français et Italiens renâclent à s’aventurer sur une terre lointaine.
Les Turcs avaient intériorisé leur défaite. Certains étaient même prêts à accepter un protectorat américain. Mais, erreur psychologique capitale, les Occidentaux ont dressé face aux Turcs leurs ennemis de toujours: les Grecs. L’électrochoc est immédiat. C’est la guerre de libération nationale (Kurtulus Savasi), menée par Mustafa Kemal Atatürk. Comme les Grecs un siècle plus tôt, les Turcs se battent pour se libérer d’une tutelle étrangère et fonder un nouvel Etat sur les ruines de l’ottomanisme.
En clair, explique Erhan Afyoncu, historien turc et recteur de l’Université de la Défense nationale: «Avec l’arrivée de Mustafa Kemal Pacha à Samsun le 19 mai 1919, la nation turque trouve son chef pour la conduire à la victoire. Nous avons combattu contre nos ennemis qui ont envahi notre pays avec l’esprit du chef de la victoire des Dardanelles, Mustafa Kemal Atatürk. Atatürk a mené la lutte nationale étape par étape, du front à la diplomatie. La grande offensive, qui couronne la guerre d’Indépendance, le 26 août 1922, est l’attaque la plus importante des derniers siècles de l’histoire turque. Elle rejette l’armée grecque dans la mer Egée. Cette victoire a empêché l’Europe de mettre un point final à la question d’Orient, bien qu’aujourd’hui encore elle poursuive ce genre de calcul.»
Fin septembre 1922, les flammes d’un gigantesque incendie consument Smyrne. Volontaire ou non, le brasier achève la destruction de trois millénaires de présence hellénique en Asie Mineure. Un an plus tard, la proclamation de la république à Ankara clôt l’ère impériale. Réduite à l’Anatolie, la Turquie récuse désormais le cosmopolitisme islamique et Kemal jette les fondations d’un État compact et homogène. Nouvelle religion civique, la laïcité borne les limites du nouveau pays.
Par le traité de Lausanne (1923), qui fixe les frontières de la Grèce et de la Turquie, les deux États deviennent des doubles symétriques. Des deux côtés de l’Egée, les populations sont échangées: 1,5 million d’orthodoxes sont expulsés d’Anatolie, qui reçoit de son côté 500.000 musulmans de Macédoine, d’Epire et de Crète. Les deux pays prennent soin toutefois de conserver quelques gages au cas où: les Grecs d’Istanbul sont épargnés par ces départs forcés en échange du maintien des Turcs de Thrace occidentale. Tout à son projet d’homme nouveau, Mustafa Kemal replie son pays au creux de l’austère plateau anatolien. Chacun s’oublie…
Houleuse Égée
La fin de la Seconde Guerre mondiale et le début de la guerre froide réunissent Turcs et Grecs sous la même bannière, l’Alliance atlantique. Pourtant, très vite les relations se dégradent de nouveau. Dès les années 1950, Turcs et Grecs se disputent Chypre, jusqu’alors avant-poste britannique sur la route des Indes. Athènes veut le rattachement de l’île (Enosis), qui appartient aux Grecs depuis l’Antiquité et est peuplée de Grecs à 82%, tandis qu’Ankara exige son partage en invoquant la présence d’une minorité turque (18% de la population). Les tensions atteignent leur paroxysme. Dans la nuit du 6 au 7 septembre 1955, un gigantesque pogrom saccage Istanbul et ses quartiers grecs.
En réalité, plus que l’Union soviétique, prisonnière de la mer Noire, c’est la Grèce qui fait figure aux yeux des Turcs de menace stratégique: les îles grecques dessinent pour eux autant de rampes menaçantes vers l’Anatolie. Par ailleurs, elles bloquent l’accès de la plupart des grands ports turcs. Là se trouve la raison profonde des revendications turques sur Chypre. En 1974, la junte des colonels au pouvoir à Athènes proclame imprudemment le rattachement de l’île, devenue indépendante en 1959. Aussitôt la Turquie invoque les accords de Londres et de Zürich qui régissent Chypre. Levier d’Archimède, la présence de la minorité turque justifie l’intervention d’Ankara. Les Turcs envahissent la moitié nord de l’île. Ils l’occupent toujours: «Chypre est une île qui transperce la Turquie comme une dague. Elle est vitale du point de vue de la sécurité», dira le président turc Turgut Ozal (1927-1993).
Côté grec, les îles de la mer Egée représentent en revanche la première et la dernière ligne de défense d’un pays de 10 millions d’habitants. Céder sur un archipel ou même sur un récif désolé reviendrait ainsi à accepter un fait accompli, généralisable partout ailleurs. Or, Ankara craint par-dessus tout qu’Athènes n’applique la règle fixée par la convention de Montego Bay qui autorise depuis 1982 tout pays à élargir ses eaux territoriales à 12 milles nautiques (22 km) et qu’elle ne transforme ainsi l’Egée en mer grecque grâce à ses 2383 îles. La Turquie ne pourrait plus la traverser et se trouverait acculée à l’extrémité orientale de la Méditerranée. C’est cette même convention, dont la Turquie n’est pas signataire, qui a créé et octroyé à tout État côtier les zones économiques exclusives (ZEE) qui sont au cœur des tensions actuelles. L’extension possible de ces espaces maritimes à 200 milles nautiques (370 km) est en effet problématique en Méditerranée orientale, les côtes des différents pays se trouvant trop proches les unes des autres. Les États n’ont donc pas d’autre choix que de négocier des accords bilatéraux visant à établir à équidistance leurs ZEE respectives. Or jamais la Grèce et la Turquie ne sont parvenues à s’entendre.
Vers le grand large
À la racine de la montée brutale de ces tensions, il y a un fait que les Occidentaux semblent découvrir abruptement: la Turquie a changé de visage. La Turquie n’est plus ce pays rudimentaire à l’identité incertaine aux marges de l’Europe. Avec 83 millions d’habitants, elle dépasse l’Allemagne. Seizième puissance économique de la planète, elle s’affirme. Elle ne quémande plus une place d’Occidentale d’honneur, elle veut être reconnue pour ce qu’elle est, c’est-à -dire une puissance renaissante.
Tel est le sens de la transformation en mosquée de Sainte-Sophie, ainsi que celle de Saint-Sauveur-in-Chora, l’une des plus belles églises d’Istanbul, annoncée par Erdogan le 21 août. À travers l’islam, la Turquie renoue avec l’universel et sa vocation mondiale, et ce constat balaye les clivages politiques. Kémalistes, islamo-conservateurs, nationalistes sont unanimes: la planète s’achemine vers un ordre postoccidental et la Turquie doit y trouver sa place. En conséquence, les cadres juridiques posés au lendemain de la Première Guerre mondiale sont jugés dépassés. Si le traité de Lausanne a reconnu l’indépendance de la Turquie, c’est, de l’aveu d’Erdogan, une Turquie réduite à la portion congrue: «Quelqu’un [Mustafa Kemal] a essayé de nous faire avaler Lausanne comme une victoire. Ce n’est pas évident. Regardez la mer Egée en ce moment. Nous avons donné les îles à Lausanne. Est-ce là une victoire?»
S’affirmer sur les mers, ce serait mettre sous sa coupe les routes maritimes et les richesses qui y transitent. Ce serait aussi exploiter les ressources énergétiques qu’elles recèlent. En l’occurrence, la dernière décennie a vu la découverte de nombreux gisements de gaz naturel en Méditerranée orientale: celle-ci abriterait plus de 3000 milliards de m³ de gaz, ce qui en fait la nouvelle «Patrie bleue» (Mavi Vatan) à conquérir. Aussi la Turquie conteste-t-elle les zones économiques exclusives (ZEE) qui s’étendent au large des îles grecques et de Chypre. Faisant observer qu’en Méditerranée orientale la plupart des pays côtiers (Liban, Israël, Égypte, Chypre) ont déjà arrêté leur ZEE au moyen d’accords bilatéraux ou tripartites, elle exige sa part. En empiétant sur la ZEE de la Grèce, le protocole d’accord qu’elle a négocié unilatéralement avec la Libye en novembre 2019 défend une vision arbitraire de sa propre ZEE. Elle implique la confrontation avec Athènes et Nicosie, qui revendiquent les mêmes eaux.
Un millénaire après avoir bousculé les Byzantins à Manzikert, un siècle après avoir chassé les Grecs d’ Anatolie, les Turcs disputent ainsi à Athènes le passage vers la Méditerranée orientale. Une fois l’obstacle levé, la Turquie pourrait accéder au canal de Suez, bascule de l’espace indopacifique, et s’érigerait dès lors au rang de puissance globale. Erdogan ayant en tête qu’une joute stratégique est d’abord un concours de prise de risque, la Turquie veut convaincre la Grèce qu’elle ira jusqu’à la confrontation ultime pour parvenir à ses objectifs. À la fin, c’est toujours l’adversaire le plus mesuré ou le moins décidé qui plie.
* Diplômé en histoire de Paris-IV-Sorbonne, spécialiste de la Turquie,
Tancrède Josseran est attaché de recherche à l’Institut de stratégie comparée (ISC).
â—Š
Copyright 2014 - A TA TURQUIE - Toute reproduction strictement interdite - Realisation : SOUTREL Dominique - Contactez-nous
Association A TA TURQUIE - 43 rue Saint Dizier - 54000 Nancy / FR - Tél. : 03 83 37 92 28 - Fax : 09 58 77 68 92 - contact@ataturquie.fr
Remerciements à COPLU pour les illustrations du site
Pour tout don, vous pourrez en déduire 66% de vos impôts