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Courrier International, le 01/02/2021
Alda Engoian
Des manœuvres militaires turco-azerbaïdjanaises d’envergure se tiendront du 1er au 12 février en Turquie, à 80 kilomètres de la frontière arménienne. Depuis la victoire de Bakou au Haut-Karabakh, l’armée azerbaïdjanaise fait l’objet d’une réforme radicale, notamment d’une turquisation de ses cadres.
“Le renforcement de notre armée est l’une des priorités [de l’État]. Aujourd’hui, l’armée azerbaïdjanaise est la plus puissante du Caucase du sud”, se gargarise le site azerbaïdjanais Aze.az, qui, trois mois après la victoire de Bakou sur l’Arménie dans la récente guerre du Karabakh, se dit certain que “la puissance militaire a joué et jouera à l’avenir un grand rôle dans la libération de nos terres”.
Le site azerbaïdjanais Report.az veut inscrire cette victoire dans les annales de l’histoire militaire : “La guerre patriotique [qui a permis à l’Azerbaïdjan de récupérer les deux tiers du Karabakh, contrôlé entre 1994 et 2020 par les Arméniens] est l’une des pages marquantes de l’histoire contemporaine de l’Azerbaïdjan, dont l’armée, en un temps record, a remporté une victoire sans appel, écrivant ainsi une nouvelle page glorieuse dans l’histoire militaire moderne.”
Certes, mais, à en croire le site Russia-Armenia Info, le secret de la victoire réside dans le simple fait que l’armée azerbaïdjanaise (70 000 soldats) “s’est transformée en armée turque [744 000 soldats]”, ou plutôt est en train d’être absorbée par celle-ci. Ce qui corrobore la tendance actuelle de délégation progressive de la souveraineté de l’Azerbaïdjan au “grand frère” turc.
Selon le site, depuis la fin de la guerre de 2020, “l’armée azerbaïdjanaise fait l’objet d’une réforme radicale”. Concrètement, “tous ceux qui ont fait leurs classes [dans les académies militaires] en Russie ou même qui ont des parents en Russie, ou le moindre soupçon de lien avec la Russie, sont licenciés ou envoyé en préretraite”.
Les officiers azéris sont remplacés par leurs homologues turcs ou par des militaires azéris ayant fait leurs études en Turquie, “sachant que la majorité de ces derniers sont des agents secrets des services spéciaux turcs”. L’armée se sépare par ailleurs des officiers “appartenant aux ethnies autochtones de l’Azerbaïdjan”, comme les Lezguines ou les Talychs.
L’Azerbaïdjan n’est de fait plus indépendant
En outre, à l’instigation de l’état-major turc, les Turcomans – représentants de peuples turciques expédiés en Azerbaïdjan depuis le nord de la Syrie pendant la guerre du Karabakh – remplacent les soldats azerbaïdjanais. “Entre 8 000 et 10 000 de ces Turcomans sont installés le long de la frontière avec l’Iran”, rapporte Russia-Armenia Info, qui en conclut que “l’armée azerbaïdjanaise passe sous le contrôle du ministère de la Défense turc et devient un détachement turc agissant entièrement dans l’intérêt de la Turquie. L’Azerbaïdjan, jadis pays indépendant, se transforme ainsi en un velayet [région administrative] turc.”
Le site russe consacré aux questions militaires Voennoé Obozrenié rappelle que des manœuvres militaires turco-azerbaïdjanaises d’envergure baptisées “Hiver-2021” se dérouleront entre le 1er et le 12 février près de la ville turque de Kars (ancienne capitale de l’Arménie qui faisait partie de l’Empire russe avant 1921). Chars, unités d’artillerie, équipes de tireurs d’élite, forces spéciales, armée de l’air participeront aux exercices à munitions réelles, à seulement 80 kilomètres de la frontière arménienne. En outre, de nouveaux systèmes d’armes, y compris ceux en phase de test, feront leur entrée dans le service actif.
“Une nation, deux États”
Voici le message adressé, à quelques jours des exercices, aux militaires azerbaïdjanais par le ministère de la Défense turc, cité par Voennoé Obozrenié : “Nous disons avec beaucoup de fierté ‘bienvenue’ à nos frères qui ont remporté une grande victoire contre l’armée de l’Arménie au Karabakh. Nous continuerons à œuvrer ensemble, comme un seul cœur, un seul poing, sur la base du principe ‘Une nation, deux États’ !”
Pour l’expert militaire russe Vladimir Evseev, interrogé par le site Sputnik Armenia, la prise de contrôle d’Ankara sur l’armée azerbaïdjanaise a aussi une explication banalement économique : l’Azerbaïdjan, qui tire l’essentiel de ses revenus de l’exportation de pétrole et de gaz, “n’a plus les moyens d’entretenir son armée” avec un prix du baril bas. Par ailleurs, s’il est vrai qu’Ankara veut voir l’armée azerbaïdjanaise “correspondre aux standards de l’Otan”, cela ne concerne pour l’heure que les effectifs et le commandement. L’armement est, quant à lui, acheté par Bakou à la Russie. Et pour le remplacer, “il n’y a pas d’argent”.
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