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Libération, le 13/05/2019
Reportage
Par Jérémie Berlioux et Emilienne Malfatto, envoyés spéciaux à Soma (Turquie)
Cinq ans après la catastrophe qui a tué 301 mineurs, rien ne semble avoir changé à Soma. Les conditions de travail sous terre restent précaires, les normes de sécurité à peine améliorées. L’Etat, qui détient l’exploitation, n’a pas été inquiété par la justice.
Mehmet est mort il y a cinq ans. Dans la fumée et la panique, dans les entrailles de la Terre. Au milieu des rats et des cadavres noircis. Il est mort loin du ciel et ses mains en tremblent encore. «Je suis mort au fond de la mine ce jour-là . Je suis mort et la seule différence avec mes camarades mineurs, c’est que je me tiens debout aujourd’hui.» Sa voix aussi tremble un peu. Mehmet reprend une gorgée de bière – les bouteilles s’accumulent sur la table. Depuis «le massacre», seul l’alcool lui permet d’échapper aux visages brûlés qui le hantent.
C’était le 13 mai 2014 et le printemps parait les arbres de fleurs à Soma, dans l’ouest de la Turquie. Une région d’oliviers et de plants de tabac, creusée, saignée par les hommes pour sa richesse en charbon. Ce jour-là , dans la mine Eynez, au détour d’une galerie de terre, Mehmet aperçoit le feu causé par une explosion. «Tout brûlait.» Il enchaîne les gorgées de bière et les détails. La fumée noire, la panique. L’ennemi invisible, le monoxyde de carbone, incolore, inodore, et qui tue si vite. Le refuge impossible à trouver. Les masques à gaz défectueux, autour de lui ses collègues qui commencent à tomber. Son regard se perd. Il cesse de raconter. Il dit s’être évanoui, avoir oublié. Tout ce dont il se rappelle, c’est d’avoir rampé «peut-être 300 mètres, sur des cadavres de mes amis».
Morgues débordées
Trois cent un morts. Un accident, dirent les autorités. «Un massacre», continuent à dire les mineurs et leurs familles, pour qui le drame aurait pu – aurait dû – être évité, en respectant des règles de sécurité. Seulement voilà : à Eynez comme dans les autres mines de la région, la sécurité des mineurs est un coût qui ralentit la production et réduit les profits. Le charbon vaut plus que les hommes. Cinq ans après, c’est toujours le cas. De l’avis général, ce n’est qu’une question de temps avant qu’un nouveau drame ensevelisse à nouveau des hommes sous terre. Les incidents sont communs dans les mines turques. Selon l’Observatoire de la santé et de la sécurité au travail (Isig Meclisi), au moins 93 mineurs sont morts au travail en 2013 et 66 en 2018.
Avant la tragédie, Ali, l’époux de Gülten Kavas, avait déjà été victime de «trois ou quatre accidents où il avait été enseveli puis sauvé». Aussi, ce 13 mai 2014, quand la rumeur de l’incident atteint leur quartier, Gülten ne s’affole pas. C’est seulement quand l’ampleur de la catastrophe se fait jour qu’elle se précipite à l’hôpital où les familles se pressent. Elles cherchent survivants ou morts pendant des heures, des jours. A la mine, à l’hôpital. Puis à la morgue. «Les visages étaient tellement abîmés que nous n’étions pas sûrs», dit-elle. Certains gardent l’expression d’atroces souffrances de l’asphyxie. Gülten finit par identifier son mari grâce au tee-shirt qu’elle avait mis dans son sac pour qu’il puisse se changer quand le premier serait trempé de sueur, au fond de la mine. Ensuite, c’est le noir. Les récits des veuves sont similaires : elles s’évanouissent dans les morgues débordées par les cadavres de mineurs.
Pendant ce temps, la ville est en proie à une agitation grandissante. Le choc a fait place à la colère. Au lendemain de la catastrophe, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, se rend sur les lieux du drame : «Ce sont des choses qui arrivent. Cela fait partie de la nature du business», ose-t-il déclarer. Mineurs et familles sont furieux et huent le chef du gouvernement, au cri d’«Erdogan démission».
Mais la colère ne débouche sur aucun mouvement de contestation. Le deuil s’installe, l’abattement gagne, le traumatisme s’enracine. La production de charbon, elle, continue. Chaque jour, les hommes plongent dans les mines. Et chaque jour, Mehmet va en forêt pour boire jusqu’à l’oubli. De quoi lui permettre de dormir d’un sommeil sans cauchemar. Il ne trouve de réconfort que dans le soin des animaux, explique-t-il en montrant amoureusement, sur son téléphone, une photo de volailles. C’est ce qui l’a empêché de «devenir complètement fou». Comme un retour aux fondamentaux : Soma a longtemps été un centre agricole. On y cultivait notamment du tabac, racheté pendant des décennies à prix fixe par le conglomérat public Tekel. La vie était chiche mais les revenus suffisants pour vivre.
Mais au début des années 2000, la Turquie est en crise. Le gouvernement de l’AKP, islamiste et nationaliste, épouse l’agenda du Fonds monétaire international et privatise largement. Les prix du tabac sont dérégulés : les cigarettes américaines déferlent dans le pays. Les petits producteurs sont anéantis et des dizaines de milliers d’agriculteurs ont à choisir entre l’exode dans les villes ou le travail à la mine.
De fait, elle s’avère souvent la seule alternative à la misère. «Sous terre, la mort est probable. Dehors, la faim est certaine», résume une veuve. A son tour, Mehmet doit retrouver les veines de charbon, contre l’avis de sa famille. Mais la perspective de la retraite des mineurs – décrochée après douze ans de labeur – est attrayante.
Sous pression
La routine reprend. Chaque jour, sa femme prépare son sac pour «sous terre». Des tee-shirts de rechange. Un casse-croûte que Mehmet mangera dans la boue, seul – car il faut se restaurer à tour de rôle pour ne pas ralentir la production – au milieu des rats. Mehmet a peur des rongeurs. Pourtant, depuis «le massacre», il leur abandonne systématiquement les restes de son repas : sous terre, les rats sont utiles, un indicateur de danger. «Si le rat vit, tu vis. Si le rat meurt, tu meurs. Si le rat s’enfuit, tu dois t’enfuir.»
La production continue d’augmenter. La Turquie est en pleine course au charbon. Dépendante pour ses approvisionnements énergétiques de pays étrangers avec lesquels elle entretient des relations complexes, elle veut retrouver un peu d’autonomie. Son sous-sol est riche. Le lignite extrait à Soma part directement dans les centrales du pays – dont le gouvernement souhaite la multiplication. La production est appelée à encore augmenter. Pour la main-d’œuvre, les compagnies minières ont recyclé le système des travailleurs agricoles. Un taseron ou dayibasi est chargé de recruter une équipe. Il est payé en fonction de la quantité de charbon extraite. Pernicieux système mettant en compétition les travailleurs. Les conditions de travail sont déplorables. Nulle part où manger, faire ses besoins. Une paie risible, des horaires décalés et un travail exténuant. Il y a encore quelques années, les hommes creusaient à la pioche, accroupis. Les incidents sont monnaie courante.
Lorsque l’Etat sous-traite les opérations à des entreprises en 2005, les mines se modernisent peu à peu. Il s’engage à acheter tout charbon qui sortira des mines à un tarif fixe. Un profit garanti pour la compagnie, et un système qui pousse à vouloir augmenter la production de façon exponentielle. De 1,5 million de tonnes par an en 2005, la production dépasse 3,5 millions en 2014. Les mineurs sont sous pression, constamment surveillés. «J’ai reçu une rétention de salaire pour m’être simplement assis», explique Mehmet. Pour maximiser ses bénéfices, la direction de la mine taille dans les coûts. Au détriment de la sécurité. Le rapport d’expertise du procureur publié en 2014 pointe des manques criants : transformateurs électriques de mauvaise qualité, capteurs de gaz inopérants, rapports falsifiés, masques à gaz – souvent défectueux – d’une autonomie de quinze minutes, absence d’exercices d’évacuation, ventilation défaillante, etc.
Deux semaines avant la catastrophe, un rapport d’inspection de l’Etat avait pourtant conclu que la mine était aux normes. Et le parti du président Erdogan, l’AKP, venait de s’opposer à une demande de commission d’enquête parlementaire sur le nombre croissant d’accidents dans les mines. La mine Eynez n’était pas non plus équipée de refuges d’urgence.
Parallèles
Cinq ans après, rien ou presque n’a changé. Les salaires ont été doublés, les mineurs disposent d’un masque d’une autonomie de quarante-cinq minutes et de deux jours de congés hebdomadaires. Des mesures prises pour étouffer la colère. Les familles de victimes (432 orphelins) ont reçu des compensations et des appartements dans un quartier construit à cet effet, des blocs sans âme en marge de la ville.
En juillet, le directeur général de la mine et le directeur technique ont écopé de vingt-deux ans et six mois de prison. Le directeur des opérations et le superviseur technique condamnés à dix-huit ans et neuf mois. Le PDG de l’entreprise exploitant la mine, Can Gürkan à quinze ans de réclusion. Charge retenue ? Négligence, et non homicide. A l’ouverture du procès, le parquet avait pourtant requis vingt-cinq ans de prison pour chaque mineur décédé. L’Etat, à qui appartient la mine, n’a pas vu sa responsabilité engagée. «S’il y avait une justice dans ce pays, 301 personnes ne seraient pas mortes», se désole Gülten. Pire, fin avril Can Gürkan a été libéré. Mehmet a poursuivi son patron pour «mise en danger d’autrui». Il a perdu et doit désormais payer des dommages et intérêts. «J’aurais préféré mourir pour que ma famille touche les compensations», soupire-t-il.
Soma, c’est un peu Germinal. La référence à Zola émaille d’ailleurs souvent les récits des mineurs. Et les parallèles sont glaçants entre le roman, campé dans la France des années 1860, et les témoignages recueillis à Soma en 2019. «La seule différence entre notre situation et Germinal, c’est qu’il n’y a pas de femmes ni d’enfants dans la mine», assure un mineur. L’autre changement, c’est que les progrès techniques qui pourraient empêcher toute mort non accidentelle existent. Encore faudrait-il en avoir la volonté. En attendant, Mehmet répète chaque jour le même mantra en sortant de la mine : «Merci mon Dieu, je suis dehors.»
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