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Les Inrocks, le 17/04/2017
Dimanche soir, les Turcs ont approuvé, à une courte majorité (51,18%), le référendum constitutionnel donnant plus de pouvoir au président Recep Tayyip Erdogan. Récit d’une journée à rallonge dans les rues d’Istanbul, entre ferveur et contestation. Et dans une société qui en ressort fracturée.
Depuis quelques temps déjà, on remettait sa prise de décision. “On verra après le référendum” était devenue une phrase rituelle à Istanbul. Manière de signifier qu’après le résultat du 16 avril, l’ordre d’importance des choses aurait changé. Alors forcément, dimanche, il était temps d’en découdre. Et ils ont été nombreux, les Turcs, à se rendre aux urnes. 85% de participation dans toute la Turquie. “Si le ‘oui’ passe, c’est foutu, il faut partir d’ici, souffle une membre du CHP, parti d’opposition. Les partisans du ‘oui’ ne savent même pas pour quoi ils votent”.
La journée, ensoleillée, a commencé dans le calme à Istanbul. Mais partout, les clans étaient divisés, attentifs. Sur Twitter, les internautes ont retransmis des vidéos de fraudes présumées ou de tensions autour du scrutin. Dans l’Est, certains observateurs européens n’ont pas pu accéder aux bureaux de vote. D’autres affirment avoir été menacés. Près de Diyarbakir, trois personnes ont été tuées alors qu’elles partaient voter. A Istanbul, c’est l’éditorialiste Ali Bayramoğlu, ancien pro-Erdogan, qui a indiqué avoir été agressé dans son bureau de vote, quelques jours après avoir indiqué qu’il voterait “non”. De nombreux journalistes se sont plaints de ne pas pouvoir accéder aux bureaux de vote.
Vente d’alcool interdite
Mais c’est surtout à partir de 17h que les choses se sont accélérées. C’est à cette heure-ci que les bureaux de vote se sont fermés dans les grandes villes du pays. A Kasımpaşa, quartier de naissance d’Erdogan, le “non” l’a largement emporté. “Je suis surpris, je m’attendais à un score plus serré”, indique un observateur, tandis qu’une autre tempère : “Il y a beaucoup de Kurdes du HDP qui habitent ici. Ils ont voté Non”. On apprendra plus tard qu’Istanbul, comme les cinq autres plus grandes villes du pays, ont voté ‘non’.
Dépouillement du vote, à Kasımpaşa. Ici, un vote “oui” (“Evet”).
Un peu plus haut, vers la place Taksim, épicentre d’Istanbul, les télés commencent à installer leur direct. Des cars de police prennent position. Et tout autour dans les bars, on retransmet les résultats sur écran géant. La vente d’alcool est interdite en ce jour d’élection. Alors les jeunes se rabattent sur le thé ou le café turc. Leur regard alterne entre la télévision et l’écran de leur smartphone, qui affiche les résultats en temps réel, sur le site Yenisafak. Car le “non” a affiché une remontée spectaculaire. De 25%, il est passé, en moins de deux heures, à 45%. Et l’espoir reprend.
Une nuit folle
Mais à 20h, la principale chaîne du pays annonce la victoire du “oui” avant d’attendre la fin du dépouillement. Dans le même temps, le Conseil suprême électoral de Turquie (YSK) a indiqué qu’il validait les bulletins non tamponnés, “à moins qu’il ne soit prouvé qu’ils sont frauduleux“. Une mesure qui, pour le CHP, principal parti d’opposition, a “jeté une ombre sur la décision de la nation”. Il a demandé un recompte des voix dans 60 % des bureaux de vote. Le HDP, un autre parti d’opposition, a lui aussi contesté les résultats.
Mais qu’importe le score, aussi faible soit-il. Qu’importent les contestations. Erdogan, a “gagné” son pari. Et partout dans la ville, ses supporters célèbrent sa victoire. Au bord de la Corne d’Or, un podium de fortune a été installé. Il diffuse à pleins tubes la chanson de campagne tandis que le public chante en choeur et agite ses drapeaux. Il applaudit à tout rompre le discours d’Erdogan, qui évoque un nouveau référendum sur le rétablissement de la peine de mort. Une heure plus tard, devant le siège de l’AKP – parti du président – la pluie n’effraie personne et les militants dansent et chantent depuis une bonne heure. Pour accéder au bâtiment, les tunnels sont bouchés. Comme lors d’une compétition sportive, les gens sont montés sur les toits des voitures et agitent leurs drapeaux aux couleurs du pays ou affichant la tête de leur “nouveau sultan”.
Parallèlement, la résistance s’organise. A Kadikoy, à Besiktas, dans des quartiers traditionnellement opposés à Erdogan, des jeunes s’emparent de cuillères, de casseroles, de tout ce qu’ils trouvent pour faire du bruit et sortent dans la rue. “On veut réveiller les consciences, explique Ekin, étudiant en littérature anglaise. Ils ont triché. Alors marcher, c’est la dernière chose qu’on peut faire pour notre pays”. Ils marchent une bonne partie de la nuit. S’assoient face à la police, lèvent le poing ailleurs, aux cris de “On ne se taira pas” ou “YSK, démissionnez !”
Il est déjà 3h du matin à Istanbul. La Turquie vient de donner les pleins pouvoirs à son Président. Le score est ultra-serré. Et surtout, il est déjà contesté. “On ne s’arrêtera pas. Notre combat ne se limite pas à ce soir” prévient Ismigul, qui a pris spontanément la tête du mouvement de Besiktas. Rendez-vous est pris pour le lendemain. “Jusqu’à ce qu’on obtienne ce qu’on veut”.
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