L’Europe est fille de la peur et non de l’espoir. L’hégémonie qu’elle prétend exercer sur le monde et la manière dont elle régente ses États membres dépendent directement de sa capacité à s’inventer des monstres, à produire la peur et l’exclusion. Et c’est exactement ce qui s’est passé aux Pays-Bas. Ces derniers doivent rendre des comptes !

 

Notre ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu s’est vu interdit d’atterrissage sur le sol néerlandais ; par la suite, notre ministre de la Famille, Fatma Betül Sayan Kaya, a été soumise à un traitement inacceptable plusieurs heures durant. Face aux méthodes barbares de la police néerlandaise, laquelle a outrepassé toutes ses prérogatives, notre ministre a su faire face dignement. Nous n’avons pas à rougir de son attitude.

 

Quant aux Européens, qui n’ont pas de termes assez forts pour critiquer l’état d’urgence en Turquie, ils n’ont pas fait montre des mêmes scrupules lorsqu’il s’est agi de proclamer l’état d’urgence pour empêcher Mme Kaya de se rendre auprès de nos expatriés !

Une fois encore, nous avons eu la preuve flagrante de l’immense hypocrisie de l’Europe. Les conseillers et les gardes du corps de la ministre de la Famille ont été arrêtés et mis en détention. C’est un scandale diplomatique en bonne et due forme. Ne se contentant pas de cela, le gouvernement néerlandais a lâché ses chevaux et ses chiens sur nos expatriés [qui manifestaient pour protester contre la décision des autorités] en usant de méthodes aussi barbares que celles dont les Pays-Bas ont usé à l’époque en Afrique. Nous parlons ici d’un pays abritant le siège de la Cour internationale de justice, qui a piétiné toutes les normes et règles du droit international. C’est un pays au lourd passé impérialiste où règne la xénophobie, le racisme et les fascismes de toutes sortes et où l’islamophobie explose.

Une terre de liberté ? Fadaises !

Je pose ici la question : les Pays-Bas sont-ils une terre de liberté ? Fadaises ! C’est ce qu’on a voulu nous faire gober, tout particulièrement à l’intelligentsia turque dégénérée. Généralement, ce qu’on entend par liberté en Europe et aux Pays-Bas n’est rien d’autre que la liberté de régresser au niveau du sous-homme. En laissant libre cours à ses plaisirs, à ses pulsions les plus bestiales au détriment de l’esprit et de l’âme, on vide la liberté de sa substance pour devenir l’esclave de ses passions irréfrénables. Weber avait mille fois raison en parlant de la “cage de fer” de la modernité, à l’origine de cet asservissement de l’homme, de cet individualisme et de ce sécularisme turpides.

 

Ce n’est pas pour rien qu’il a dénoncé la crise du sens, la perte de liberté et de repères existentiels inhérente à la modernité. Cet asservissement qui considère l’échec de la pensée, le déficit du sens et la perte des valeurs comme une manifestation de la liberté amène les individus au bord du suicide. Ce nihilisme, cette désertification de la vie, pour reprendre la très juste expression nietzschéenne, prive l’homme de ses racines et le rabaisse au stade de l’inhumanité… Cette perte d’humanité sur le plan ontologique se traduit, en matière politique, économique et sociale, par la primauté de la loi de la jungle darwinienne, laquelle sème la xénophobie, le racisme, le fascisme et, pire encore, les légitime.

Les pays européens au bord de l’anarchie

Tout cela ne vaut pas seulement pour les Pays-Bas, mais concerne également des pays européens d’importance, à commencer par l’Autriche, mais aussi l’Allemagne, la France, l’Italie ou l’Espagne. Sous le poids du chaos politique, social, économique et culturel qui mène les pays européens au bord de l’anarchie et de la guerre civile, le rêve européen est en passe de se transformer en cauchemar. J’en veux pour preuve la décadence intellectuelle, culturelle, artistique de l’Europe qui ne produit plus aucune idée, aucun modèle, aucune valeur digne d’intérêt pour le monde.

 

Cette faillite philosophique, politique, culturelle est grosse de conséquences terriblement inquiétantes. Elle encourage les Européens à user de méthodes mystificatrices pour dissimuler l’anarchie et le chaos qui règnent chez eux à grand renfort de xénophobie, de racisme et de fascisme, et les pousse à se lancer dans de nouveaux massacres et guerres mondiales dans l’espoir d’y repuiser la force qu’ils ont perdue. Autrement dit, l’avenir est hélas lourd de nouveaux conflits pour l’Europe et, de ce fait, pour le monde.

Yusuf Kaplan

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